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jeudi 30 avril 2015

Vienne

Escale à Vienne aujourd'hui. Je regarde la météo, il y fait très froid.

Hier, sous l'impulsion de Patrick H., j'ai vu des extraits commentés du film de Michael Radford, The Merchant of Venice, d'après Shakespeare. S'agit-il d'antisémitisme ? Il faut dire que le personnage de Shylock n'est pas très sympathique mais en même temps sans son insistance à obtenir son dû, sans l'inflexibilité avec laquelle il défend l'inflexibilité de la loi de Venise, la réflexion de Shakespeare sur le pouvoir et la justice n'aurait pas l'impact qu'elle a sur nous. Il faut aussi tenir compte du contexte historique de cette pièce. Elle a été jouée pour la première fois en 1598. Il semble qu'il n'y avait plus beaucoup de juifs en Angleterre, alors qu'un siècle auparavant ils jouissaient d'un statut privilégié puisqu'ils étaient protégés par le roi. Je reviendrai là-dessus.

Abandonner
L’un des verbes les plus tristes de la langue. Souvent victime d’un lapsus qui nous fait dire « abonner » ou « adonner » pour « abandonner ». On extrait la bande du mot alors que c’est la bande qui vous abandonne. Sans elle, on n’est plus rien, comme mort. En tout cas, très seul. Se sentir abandonné, c’est se sentir ne plus être. On ne veut rien savoir des autres appartenances en attente. Il n’y en a qu’une qui compte, celle qu’on revendique encore, parce qu’elle n’est plus. Définitivement plus. Jeté, je t’ai dans l’errance, sans même être juif.

mercredi 29 avril 2015

Nepal

Toujours pas de nouvelles de Christian qui était à plus de 5.000 m sur les pentes du Manaslu.

Par contre, les choses évoluent magnifiquement pour le projet du Luxembourg College à la réalisation duquel je participe avec l'équipe de Jeannot.

Je rajoute un peu de lecture pour me faire pardonner la brièveté de ce billet.

Sortir

« Elle sort. » L’auteur a donné dans son texte, cette indication au futur metteur en scène : « Elle sort. »  Où va-t-elle ? Son pas est lent et digne. Sa longue robe froufroute en velours sur les planches. La résonance de ses derniers mots s’évanouit. « — Va, je ne te hais point. » Sans doute a-t-elle rejoint l’obscurité des coulisses. Mais non. C’est l’une des chambres du palais qu’elle quitte. Elle se retrouve dans une galerie de glaces. La gouvernante vient à sa rencontre pour lui proposer une promenade au jardin. Où se joue l’obscurité silencieuse des coulisses et des complots. Je l’attends. La voilà : elle sort. Et c’est moi qui vais à sa rencontre. Il fait très froid. Elle a laissé les fleurs dans sa loge. Nous échangeons quelques mots avant de monter dans la voiture. Elle porte un pantalon de flanelle noir. Sa poitrine se soulève légèrement : « — Alors ?  — Tu as été parfaite. » Elle est fatiguée. Je conduis en silence. Plus tard, bien plus tard. Elle se fâche. La porte claque. Elle sort.

mardi 28 avril 2015

Papa

J'étais en train de me faire une tartine de pâté quand papa est arrivé, parfaitement silencieux, derrière moi. On ne l'attendait pas. Il est revenu d'on ne sait où par surprise. Il portait une chemise blanche et était plutôt de bonne humeur. (C'est fou ce que les enfants sont sensibles à l'humeur de leurs parents. Ils en tirent des informations importantes pour la suite des événements.) Je propose à mon père de goûter l'excellente mousse de canard dont il reste encore quelques tranches sur le frigo. Je le laisse se régaler pendant que je vais pisser. Je ne contrôle pas parfaitement le jet qui asperge des vêtements d'enfants, bien repassés et pliés qui se trouvent sur le bord de la lunette. Pourquoi sont-ils à cet endroit ? Mystère.

Au réveil j'aperçois par la fenêtre un ciel luxembourgeois inhabituel et magnifique, avec des teintes dorées annonciatrices au dessus des deux collines qui me font face, et plus bas, dans le creux, une sorte de masse sombre de nuages bien découpés, comme un massif gris-montagne au loin, en train de disparaître. Et peu après, en effet, c'est le soleil lui-même qui fait son apparition dans ce même creux entre les collines, comme le pendentif en or entre les seins d'une femme qui se penche sur le monde.

Hier, avec Jeannot nous avons rencontré un chanteur d'opéra et son fils, chef d'orchestre, très intéressés tous les deux par notre projet. La voix du père, une basse splendide même quand il parlait doucement, était impressionnante de douceur et de force contenue.


lundi 27 avril 2015

Premier

Jeannot m'attendait à l'aéroport. Il me dit : "Il y a eu deux personnes qui sont sorties avant toi, Baudouin, que se passe-t-il ?" Et il me rappelle que généralement, je suis presque toujours le premier sorti de la fournée aéroportée Lisbonne/Luxembourg. Ceci me fait penser à une attitude qui a été longtemps la mienne quand je faisais des marches en groupe dans la nature. Je tenais presque toujours à être le premier, à être devant les autres, à marcher en tête. Et cela m'obligeait souvent à de gros efforts. C'est la remarque de Jeannot qui m'y a fait penser. Je me souviens de nos ballades en Haute-Savoie quand j'avais 14/15 ans : j'aimais effectivement être devant et atteindre le sommet avant tout le monde.

Un verbe ?

Naviguer
Ni vagues, ni vents. Une barque immobile. Une voile qui pend, remuant faiblement d’un souffle ennuyé, en attente. Immobilité envahissante comme celle d’un tableau de musée. Avec ce soleil à l’horizon qui n’en finit pas de tomber à l’eau. On est aussi silencieux que ceux du tableau. Le bois du mât grince un peu sans la moindre impatience. De temps en temps, un choc isolé, ponctuel — on ne sait d’où il vient —, on ne s’en occupe pas. Il n’a rien à ponctuer, si ce n’est l’écho de la coque vide où nous sommes. Balancés imperceptiblement par une surface laquée, aussi calme qu'un miroir.

dimanche 26 avril 2015

Katmandou

Tremblement de terre de magnitude 7.9 au Népal à Katmandou. Dali, la fille adoptive de Françoise et Francis, est très inquiète. Et notre comité de la Fondation Paul Feyerabend est inquiet pour l'un de ses membres qui était là-bas au pied du Manaslu, dont il voulait faire l'escalade. Nous espérons qu'il est sain et sauf mais actuellement, nous sommes sans nouvelles.

Il fait encore froid de temps en temps à Lisbonne. Hier matin, la visibilité à travers ma fenêtre était incroyablement réduite : c'était du gris mouillé partout. Ce matin, le soleil donne un relief particulier à un grand troupeau de nuages éléphantesques. Je pars aujourd'hui pour Luxembourg et ne reviendrai que vendredi après une étape sur le retour à Vienne où je pourrai voir Sylvie et Pierre.

Hier j'ai pu parler à Françoise et Martine. Martine avait eu une alerte avec une tension de plus de 20. Aux urgences, un gentil médecin indien lui a dit de cesser de prendre une pilule qu'on lui avait prescrite à la suite de son opération. Il semblerait qu'il y ait amélioration, depuis. Un avion traverse le ciel. Bientôt ce sera à mon tour de traverser le ciel.

Un verbe ?

Chanter
Comme ma fille aujourd’hui qui chante toute la journée, je chantais à son âge. Tout le temps et partout. En continu. Sur mon vélo, dans la rue, à la maison, dans mon bain, à tue-tête dans la forêt. Dans le vent aussi. Sous la pluie évidemment. Le chant agit comme une drogue. Il délivre les mots qui s’enchaînent autrement, comme portés par autre chose que soi, l’air justement, qui est autre chose que soi et qui vient quand même de soi. Le chant renégocie la frontière entre soi et soi, entre l’intérieur et l’extérieur, la langue et la musique, l'écriture et le son. Le chant nous recompose. En réalité, le chant renverse l’ordre des lieux. Il change les emplacements. Mes oreilles chantent et ma bouche, ouverte au vent, écoute le chant de mes oreilles.

Cela me fait penser au rêve que j'ai fait cette nuit. Il s'agissait précisément de cela : négocier des emplacements. C'est ce dernier mot, retrouvé dans l'un de mes verbes, qui m'a fait repenser au rêve de cette nuit. Dans mon rêve, il s'agissait de tentes. Mais je ne me souviens pas du contexte. Tant pis.

samedi 25 avril 2015

Oeillets

C'est aujourd'hui l'anniversaire de la révolution des oeillets. Il sera difficile d'en trouver dans la ville. D'autant plus qu'il faut qu'ils soient rouges. Je vais sans doute aller au rendez-vous de la manif, c'est tout près, et un peu d'exercice me fera certainement du bien. J'ai également l'impression que le médicament que l'on m'a prescrit, le Trental 400, améliore beaucoup les choses. Je ne claudique pas du tout.

Après avoir lu un autre polar, Max : S.K. de Jean-François Thoron (pas mal ! une histoire de serial killer pas banale), je me suis mis à lire un livre de Roger Frison-Roche, Lumière de l'Arctique. Le Rapt. C'est un auteur déjà ancien mais j'avais beaucoup aimé Premier de Cordée quand j'étais jeune et les histoires qui se déroulent dans le Grand Nord m'intéressent toujours. Le livre que je lis actuellement met en scène les Lapons. Cela pourrait être de l'anthropologie. Bref j'adore ça.


vendredi 24 avril 2015

Verbos


Hier après-midi, en revenant avec Isabel de l’hôpital où j’ai subi quelques examens en rapport avec ce qui se révèle être en effet une sténose, nous passons devant l’antiquaire où, quand nous sommes arrivés à Lisbonne, j’avais acheté une bibliothèque XIXe, pour mes livres de la Pléïade, les cinquante volumes des œuvres de Voltaire et mes auteurs grecs favoris. « Tiens, me dit Isabel, si nous allions dire bonjour à Raoul ou son fils Alexandre ? » « D’accord, répondis-je, mais pas longtemps. Z. m’attend pour le déjeuner. » Nous entrons dans ce magasin d’antiquités, très encombré par toutes sortes de merveilles, notamment des lustres gigantesques et magnifiques. Ni Raoul, ni Alexandre ne sont disponibles mais nous faisons quand même un tour. Parmi tous les meubles exposés je repère une chaise dont l’assise était mobile : un vieux livre était coincé entre l’assise et son cadre justement pour montrer qu’en se soulevant, l’assise transformait la chaise en un prie-dieu. Curieux, je la soulève et le livre tombe par terre. Je le ramasse prestement et jette un coup d’oeil sur le livre.  Je lis le titre : Os três verbos da vida, par João Mendes, S.J. (Portugalia Editora, Lisboa, 1944) ! Les trois verbes de la vie. Je le montre à Isabel qui, bien entendu, connaissant mon intérêt très actuel pour les verbes qui m’inspirent de petits textes très fragmentés et ponctuels (que je publie parfois sur mon blog), me propose de l’acheter. En fait, l’antiquaire m’en fera cadeau. Une fois dehors, la curiosité me fait ouvrir le livre tout de suite pour voir quels sont ces « trois verbes de la vie » qui ont inspiré l’auteur. Les voici : Crer, esperar, amar (croire, attendre, aimer). J’ai déjà traité « croire » et « attendre » mais je ne me suis pas encore attaqué au verbe « aimer ». J’y viendrai sans doute un jour. J’ai déjà publié mon fragment sur « attendre » (voir le 17 avril) que je n’ai pas flanqué de sa connotation d’espoir, plus naturelle en portugais et sans doute plus conforme au sens visé par mon jésuite portugais. Voici mon traitement très succinct (et encore en chantier) de « croire ». 

Croire
La croix du croire. Une lourdeur dans la tête pour se sentir léger, débarrassé de toutes les questions de plomb. Allez creuser vos doutes ailleurs. Allez fouiller vos greniers dans vos caves. Je fais une croix sur vos propositions hasardeuses, vos discours retors, vos examens pinailleurs, vos arguties d’intellos. Je fais une croix sur tout. Laissez-moi croire en paix.

Rien à voir évidemment avec le texte que j’ai trouvé coincé entre l’assise et son cadre d’un prie-dieu, comme il est facile de le deviner. Dès les premières lignes de son traitement du verbe croire, l’auteur associe son importance actuelle au progrès des connaissances : « Du berceau au tombeau, tout homme vit de la foi en ce que lui disent les autres. » (p. 13). Ce avec quoi, je suis d'accord. L'entièreté de notre savoir et de l'ameublement de notre esprit nous vient de l'extérieur de nous-même. Mais  ceci l’amène, quelques lignes plus loin, à affirmer : O homem que menos precisa de crer é o selvagem da floresta. « L’homme qui a le moins besoin de croire est le sauvage de la forêt. » J’en conclus que je suis sans doute un sauvage.  Il n’empêche que j’ai trouvé cette trouvaille accidentelle quelque peu troublante. En suis-je troublé ? Juste assez pour tenter de traiter ce verbe intéressant : troubler. Mais ce sera pour une autre fois.

Cette nuit, un rêve, le dernier de la nuit et que j'ai rêvé deux fois (cela arrive rarement : deux versions très semblables du même rêve, l'une à la suite de l'autre). J'étais à vélo et remontais la rue Brûlée à Strasbourg vers la cathédrale. Françoise me suivait tant bien que mal dans cette petite ruelle où nous nous faisions dépasser dangereusement par des voitures. Au bout de la rue, et après avoir esquivé habilement quelques chicanes en métal, j'arrive à ce qui aurait dû être la cathédrale mais en fait, il s'agissait d'un fossé, comme si le sens de la verticalité de la cathédrale s'était inversé et qu'au lieu de hauteur j'avais affaire à de la profondeur. La ville continuait là en bas. Je m'apprête à faire comme d'habitude, c'est-à-dire à sauter tout en restant sur mon vélo. Il y a quelques obstacles mais en tournant le coin, j'ai le champ libre et je saute. Je me réceptionne en bas, toujours sur mon vélo et je continue ma route.