samedi 6 décembre 2014

6-12-14 : Les gestes du matin

Les couleurs dorées de l'Est ont envahi notre salon, déversant par les fenêtres des flots de lumière qui rampent sur le parquet, les tapis, remontent sur les meubles, éclaboussent l'argenterie et font étinceler les poussières dans des rails obliques qui mènent au grand miroir du fond. Il fait vraiment très beau à Lisbonne aujourd'hui. Quand je me suis levé, la chambre était encore dans les ténèbres. J'essaye de saisir mes lunettes posées sur la table de nuit, elles m'échappent et tombent. Je me baisse pour les récupérer mais elles continuent à m'échapper, se cachant derrière les fils électriques et les prises de courant qui se trouvent là. Je m'emmêle les doigts à leur recherche dans le noir, en silence pour ne pas réveiller Isabel mais elles glissent hors de portée... où sont-elles ? sous le lit ? non ! je saisis l'une des branches mais quelque chose les retient, un fil, un coin de meuble, une prise. Je ne vois rien. Finalement, je les retire, intactes, des ténèbres. Ouf !
Une petite scène comme celle-là, le matin au réveil, vous met dans une certaine disposition pour la journée. Le monde des objets va me résister aujourd'hui. Mais non ! Tout se passe bien ensuite. Mes gestes sont sûrs, les choses répondent à mes injonctions silencieuses : les croquettes du chat dans la gamelle, les légumes un peu fripés que je retire du frigidaire, la peau du citron se détache facilement du fruit, une carotte, des fanes de céleri, une botte de persil, un kiwi, une pomme, deux moignons de gingembre, l'eau pour le thé, le ronronnement de l'extracteur, une saveur connue, un peu surprenante, le lavage de l'appareil, des rondelles de tomate sur lesquelles fondent quelques pincées de sel, un toast au fromage Philadelphia, le chat me demande d'ouvrir la porte du balcon, il sort, je sors verres, assiettes, couverts, casseroles et autres ustensiles de la machine à laver la vaisselle, il rentre, sans bruit, je vais vers la douche avec mon mug de thé trop chaud pour être bu tout de suite, l'eau ruisselle sur un corps, le mien, que je savonne énergiquement avec un gel de cade acheté dans une boutique Occitane qui mousse dans les poils de mon bas-ventre, je remonte par le bras gauche, cou, visage, oreilles, bras droit, jambes, les deux pieds, je passe le gant entre les orteils, entre les fesses, se sécher, se raser, se laver les dents, s'habiller, les verbes réfléchis prennent le relai de la description, une description qui reste tronquée de toutes les sensations singulières qui attestent des formes de notre sensibilité au jour le jour.



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