mardi 12 avril 2016

Contredire

Pendant l'insomnie de cette nuit j'ai repensé à la manière dont on m'accusait, quand j'étais adolescent, d'avoir l'esprit de contradiction. J'examinais toujours très soigneusement les propos que l'on me tenait et j'avais généralement quelque chose à y redire. C'était une sorte de réflexe de ma part, un réflexe qui importunait mes interlocuteurs. Cela m'a conduit parfois à des révisions très radicales. Je pense notamment à mes années en tant qu'étudiant qui se terminèrent en mai 1968, dans la rue, en vue d'un objectif très partagé à l'époque : changer le monde, conformément à la onzième thèse sur Feuerbach qui s'énonce ainsi :

XI

Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer.

Je me souviens parfaitement de cette scène que j'ai vécue, bien plus tard, alors que j'étais Maître de Conférences à l'Université Louis Pasteur à Strasbourg, où, avec certains de mes collègues, nous nous sommes interrogés sur le contenu de cette thèse, sur son sens. Et, ce que nous considérions comme légitimement ambitieux quelques années auparavant, nous est apparu comme incroyablement prétentieux. "Changer le monde" ? Mais de quel droit ? Etions-nous suffisamment bons et justes pour prétendre à cette tâche ? Bref, une remise en cause très radicale, et à mon avis très utile, de ce qui fut le mot d'ordre des étudiants de mai 68. Sans que cela n'affecte en rien mon engagement politique à gauche. Un peu comme Pascal Bruckner, lors de son interview, hier matin sur France Inter.
D'ailleurs, il me semble évident aujourd'hui que si l'on voulait vraiment changer le monde, il faudrait commencer par changer la manière dont ce monde-là nous a fabriqué à son image...

Au moment où je me suis relevé de cet écrit, j'ai vu que le ciel était tombé dans le village auquel ma fenêtre à l'hostellerie de l'internat fait face. C'était assez étonnant de voir cette disparition soudaine d'un village entier dans une brume épaisse qui ne laissait apparaître que la pointe d'un clocher.

Mais pour revenir à mes réflexions du moment sur le changement, je me suis toujours méfié des gens qui disent qu'ils ont changé, comme si se changer soi-même était à la portée d'une décision subjective individuelle. Alors, quand il est question de changer le monde, on ne peut qu'être très loin du compte. Bien entendu, je ne suis pas du tout opposé au mouvement "Nuit debout" qui peuple les places de France. Bien au contraire. Je regrette seulement de ne pas pouvoir y être pour le moment, de ne pas participer à cette générosité fantastique de la jeunesse, soucieuse d'engagement et de responsabilité sans pour autant, pour la plupart, y voir la possibilité d'accéder à des pouvoirs quelconques. C'est un mouvement anarchiste, un peu comme celui de Wall Street à New York il y a quelques années. Pourvu qu'il tienne dans la durée.

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