jeudi 28 avril 2016

Supermarchés

Dans le droit fil de ma lecture d'Illich, j'ai vu hier soir, avec Isabel, le film Les Lois du Marché, réalisé par Stéphane Brizé avec Vincent Lindon dans le rôle principal. C'est un film lent et triste, triste à en pleurer —j'avais d'abord voulu dire "triste à en mourir", et c'est bien plutôt l'impression provoquée par ce terme qui exprime le mieux ce que j'ai ressenti, parce que "triste à en pleurer" ferait référence à une sorte de chaleur émotionnelle qui est rare dans ce film, bien que présente à certains moments, quand il (le personnage principal) habille son garçon adolescent handicapé, ou quand il suit un cours de rock and roll avec son épouse — ce film donc, triste à en mourir, disons-le, qui met en scène un chômeur qui, après plusieurs rencontres avec des fonctionnaires de pôle-emploi et des formateurs dont il écoute les nombreux conseils avec attention — "votre CV n'est pas bien fait" ou "vous avez l'air abattu, vous devriez vous redresser sur votre chaise devant un futur employeur" (mais ce n'est jamais aussi direct) — trouve finalement un boulot de surveillant dans un supermarché. Il y a les caméras mobiles ou fixes qui visent les rayonnages remplis de produits, les commentaires de ceux qui l'initient à ce boulot d'espionnage des clients —"regarde celle-là, elle prend des collants, elle va peut-être glisser la boîte dans son sac ouvert devant elle sur le cadi" — parmi ceux-ci certains sont appréhendés, notamment une employée du magasin (des dizaines d'années dans l'entreprise) qui gardait pour elle des bons (ou des points) de réduction et qui, ayant perdu la confiance du gérant, vient, après avoir été licenciée, se donner la mort sur les lieux de son ancien travail, ou bien ce vieux qui avait "oublié" de payer un morceau de viande sous cellophane et qui... c'était la première fois dit-il, ce sera la police parce qu'il n'a pas d'argent et que l'on ne peut pas remettre la viande dans le rayon, il y a cette négociation sordide entre le personnage principal accompagné de son épouse et des clients désireux d'acheter leur mobile-home et qui veulent faire baisser le prix, déjà en dessous des prix du marché, il y a..., il y a notre civilisation de consommateurs de supermarchés qui déambulent, hagards et sinistres, nous-mêmes, dans la lumière crue des néons et sous l'œil froid des caméras de surveillance. Triste.

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