mercredi 1 juin 2016

Alexievitch

Je termine La Fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement, de Svetlana Alexievitch (Actes Sud) qui se présente comme le rassemblement d'un certain nombre de témoignages sur les événements qui ont marqué la fin de l'Union soviétique : le putsch de 1991, la fin de Gorbatchev qui, avec ses belles manières d'intellectuel branché, a trahi les idéaux du communisme, les débuts des années Eltsine. Certains de ces témoignages sont absolument poignants et presque tous évoquent le désastre provoqué par l'introduction d'une sorte de capitalisme sauvage en Russie qui ne mise plus que sur la consommation purement matérialiste des produits de l'Occident : les jeans, les saucissons, les crèmes cosmétiques, les sous-vêtements féminins, les bagnoles de luxe, les voyages touristiques, etc. Qu'est devenue cette passion pour la poésie qui transparaît dans tous ces témoignages ? qu'en est-il de cet incroyable désir de littérature qui marquait toutes les étapes de la vie ? de ce romantisme slave qui donne à ces récits une saveur attendrissante malgré les misères, les épreuves de la cruauté des trahisons, la permanence des guerres ?
Je suis littéralement fasciné par ce texte.

Je me permets de citer un passage de Maria Voïtechonok (p.267) qui fait écho à Becoming animal de David Abram :
"Je dormais avec deux chevreaux sur une litière bien chaude... Mon premier mot a été "mèèè!". Pas "ma" ni "maman". Ma grande soeur Vladia racontait que j'étais très étonnée que les chevreaux ne parlent pas comme nous. Je n'en revenais pas. Je les considérais comme des égaux. Le monde formait un tout indivisible. Aujourd'hui encore, je ne sens aucune différence entre nous, entre les hommes et les animaux. Je leur parle toujours... Et ils me comprennent... [...] Je ne suis pas allée à la même école que les autres, je n'ai pas été éduquée uniquement par des gens. J'entends aussi les arbres, l'herbe. Ce qui m'intéresse le plus dans la vie, ce qui m'intéresse vraiment, ce sont les animaux. Comment me distinguer de cet univers, de ces odeurs... Je n'y arrive pas. Et puis enfin, le soleil ! L'été ! Me voilà dehors. Tout autour c'est d'une beauté éblouissante, et personne en prépare à manger pour personne. Partout des bruits, de couleurs. Je goûte chaque herbe, chaque feuille, chaque fleur... Toutes les racines..."

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