lundi 24 octobre 2016

Novarina

Valère Novarina est l'auteur du petit livre qui m'avait été recommandé par Bernard et Michèle A. à la Librairie Kléber où nous étions allés ensemble et que j'ai commencé à lire hier : Devant la parole, Paris, Editions P.O.L. En réalité, le titre correspond à celui du premier essai. Je vais en citer deux ou trois passages qui, pour différentes raisons, m'ont particulièrement frappé. Il y a d'abord cette annonce, dès le premier paragraphe : "Voici que les hommes s'échangent maintenant les mots comme des idoles invisibles, ne s'en forgeant plus qu'une monnaie : nous finirons un jour muets à force de communiquer ; nous deviendrons enfin égaux aux animaux, car les animaux n'ont jamais parlé mais toujours communiqué très-très bien. Il n'y a que le mystère de parler qui nous séparait d'eux. A la fin nous deviendrons des animaux : dressés par les images, hébétés par l'échange de tout, redevenus des mangeurs du monde et une matière pour la mort. La fin de l'histoire est sans parole." (p.13)
Ce passage m'a fait me souvenir d'une fiction que je voulais écrire au début des années 80 et qui devait raconter comment les hommes avaient perdu peu à peu leur faculté de langage pour devenir effectivement les animaux qu'ils sont dès qu'on oublie qu'ils parlent.

Voici un autre passage du même essai :
"Les mots ont toujours été les ennemis des choses et il y a une lutte depuis toujours entre la parole et les idoles. La parole est apparue un jour comme un trou dans le monde fait par la bouche humaine — et la pensée d'abord comme un creux, comme un coup de vide porté dans la matière. Notre parole est un trou dans le monde et notre bouche comme un appel d'air qui creuse un vide — et un renversement dans la création. Les cris des bêtes désignent, le mot humain nie." (p.17)

Et cet autre, qui a peut-être été inspiré par Saussure, quand il dit que dans la langue, "il n'y a que des différences. Sans termes positifs." (CLG) :
"Tout le langage est négatif. Il y a une anti-matière et on la voit. Penser, parler est un renversement. Nous ne sommes pas en face. Le réel n'apparaît un instant qu'à celui qui le déchire." (p.22)

Et cette magnifique réfutation de la dernière phrase du Tractatus de Wittgenstein :
"Les vases qui communiquent, les machines qui communiquent, les communicants qui communiquent comme des machines, ne disent jamais que ce qu'ils savent. De même les yeux, face à l'image, ne voient que ce qu'ils voient ; la parole au contraire passe au-delà d'elle-même, vient de plus loin qu'elle-même, va au-delà de ce qu'elle peut dire. Elle entend ce qu'elle ne sait pas ; elle attend. Nous parlons de ce qu'on ne peut nommer. Très précisément, chaque mot désigne l'inconnu. Ce que tu ne sais pas, dis-le. Ce que tu ne possèdes pas, donne-le. Ce dont on ne peut parler, c'est cela qu'il faut dire." (p. 28-29)

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