dimanche 17 décembre 2017

L'arbitraire

En lisant l'inroduction signée Yves Bonnefoy d'une petite anthologie de haïkus, je tombe sur un passage qui me rappelle mes propres réflexions sur l'arbitraire du signe, problème qui m'a occupé l'esprit pendant longtemps. Derrida disait que l'on ne pouvait concevoir l'arbitraire du signe (tel que défini par Saussure) en dehors de l'horizon de l'écriture. Ma question était : pourquoi ? Ma réponse, qui passe par l'alphabet, était que, avec l'écriture alphabétique, le "signifiant" donnait lieu à deux représentations concurrentes : celle associée à la représentation phonétique de la parole et celle associée à la segmentation syllabique propre à la parole vive. Et que, du coup, le "signifiant" n'étant plus identique à lui-même, sa relation au signifié en était ébranlée. D'où l'arbitraire du signe.  Voici le passage, dans le texte d'Yves Bonnefoy, qui me semble converger vers cette idée :

"En fait, si nous sommes si "saussuriens" en Occident, définissant si spontanément le mot par simplement l'ensemble des relations qu'il entretient avec d'autres au sein d'une structure vite éprouvée plus réelle que le dehors qu'elle explore, c'est certainement à cause de choix successifs que nous avons faits dans le passé de notre culture [selon moi et d'après ma thèse, dans notre propre passé] ; et au premier rang de ces choix je placerai volontiers ce qui eut lieu au niveau de la représentation graphique du signe [nous y voilà]. Il y a un "arbitraire" de celui-ci en son aspect phonétique, on nous l'a beaucoup rappelé depuis nos récentes guerres civiles, ç'aura été la forme moderne de l'athéisme. Cette dissemblance première du signifiant et du référent prive la langue d'être dans l'atmosphère, disons, de l'immédiat, ce qui favorise dans le recul le reclassement des données qui nous parviennent du monde : interprétations qui de malentendus en conflits, de spéculations en clameurs des propagandes, nous ont entraînés toujours plus loin du respect que l'on doit au non-fragmenté, à l'originel. Ceci dit, ne peut-on penser qu'il en est ainsi d'autant plus que cet arbitraire du signe a été confirmé, sinon même accru de façon cette fois irréparable, par l'institution de notations graphiques elles-mêmes radicalement arbitraires ? Le mot parlé se prête à la voix, qui a des vibrations et des souffles, qui peut rire ou crier. Et d'autre part, et surtout peut-être, le signifiant sonore est d'un autre ordre sensible que la plupart de nos impressions, qui sont visuelles : si bien qu'est comme voilée sa différence d'avec la chose, dans une majorité de cas. Mais le signe graphique relève, lui, du regard." (p.XXXII-XXXIII).

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