mardi 16 janvier 2018

Daeninckx

Je, tue, il... tel est le titre du roman de Didier Daeninckx que j'ai lu hier dans la Série noire. C'est un petit roman qui traite de l'imposture en littérature, c'est-à-dire de ces personnages qui se font passer pour des auteurs connus grâce à une ressemblance physique accidentelle ou grâce à d'autres subterfuges. Le livre de Daeninckx est bien écrit. L'imposteur se fait tuer par la jeune caldoche qui l'a épousé en croyant qu'il s'agit de l'authentique René Trager, auteur de plusieurs romans très appréciés. Cela se passe en Calédonie. Bon, d'accord. Dans le genre "histoire d'impostures", j'ai lu beaucoup mieux, notamment Cercas.

Je me suis aussitôt mis à la lecture de Tristesse de la terre, (Babel, 2014) le troisième roman que je lis d'Eric Vuillard dont j'apprécie beaucoup le style. Il s'agit, comme le dit le sous-titre, de l' "histoire de Buffalo Bill Cody" à partir du moment (1888) où il monte le grand spectacle du Wild West Show qui draine les foules américaines et européennes devant des batailles jouées entre Indiens et cow-boys, avec de vrais chevaux et de vrais Indiens. Il réussira même à intégrer le vrai Sitting Bull dans son spectacle avant la mort du grand chef. Chaque chapitre est le commentaire d'une photo de l'époque telle que celle-ci où l'on voit Buffalo Bill serrer la main de Sitting Bull selon les exigences d'une mise en scène bien travaillée : "...ils devaient, les pieds sur un tapis de paille, se tenir devant un maigre bouleau badigeonné sur une toile, censée représenter l'Ouest sauvage. Sitting Bull parait un peu mal à l'aise dans ce décor, comme un vestige déplacé de la Création. (...) C'est ainsi que, sur cette photographie, Buffalo Bill bombe démesurément le torse afin de paraître plus digne. Il se tient très droit, la jambe gauche légèrement en avant, la tête haute, royal, toisant l'Indien. Sitting Bull, les yeux dans le vide, se contente de tendre la main. Le progrès triomphe. On les regarde un peu perplexe." (p. 28-30) Le dernier chapitre du livre est surprenant. Intitulé "La neige", il évoque la passion de Wilson Alwyn Bentley pour la dimension microscopique du spectacle de la nature. Ainsi, il réussit après maintes tentatives avortées, à photographier un flocon de neige, cette réalité éphémère qui, bien avant lui, en 1611, avait déjà tant fasciné Johann Kepler. Lisons encore ce passage magnifique : "Et il prend des centaines de photographies, écailles de pomme de pin, fibres de mousse, pétales de fleur, coquilles d'escargot, lichens, il s'intéresse au nain, à l'infime, au rabougri. Mais ce qui l'ébahit le plus, ce qui l'éberlue, le magnétise, ce sont ces choses qui fondent, qui ruissellent, qui brûlent, dégèlent, qui s'éteignent, qui se cachent, qui s'évanouissent." (p.154) Comme Kepler qui offre à son bienfaiteur comme cadeau de ce nouvel an 1611, à défaut du rien, le "presque rien".

À lire également aujourd'hui dans Le Monde, l'excellent article de Jacques Mandelbaum sur le nouveau documentaire de l'Algérien Merzak Allouache sur le mythe salafiste des 72 vierges du paradis promises aux kamikazes martyres.
http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20180117/html/1302845.html


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire