mercredi 7 février 2018

Chambre

J'entame ma troisième journée d'hôpital. Il est presque 5h. L'horizon ne va pas tarder à s'enflammer et les avions à atterrir un peu plus loin.

C'est un peu court, peut-être. Mais il faut dire que ce matin je n'en menais pas large avec les spasmes qui secouaient ma vessie. Mais voilà, Isabel est venue me chercher. J'avais vu le chirurgien qui m'a opéré et qui m'a assuré que tout s'était bien passé. Il faut maintenant que je boive beaucoup d'eau. Avant de me laisser partir, d'ailleurs, ils ont bien vérifié que je réussissais à pisser. La personne qui était en face de moi n'y réussissait pas et cela semblait vraiment sérieux. C'était un tailleur de pierre qui était à Paris en mai 68 et qui, de retour au Portugal il y a déjà longtemps, était devenu boucher. Son voisin, qui était au bout de la diagonale de la chambre entre nos deux lits, était quelqu'un de très sympa. Il compatissait quand il voyait mes élancements. Il s'est mis à pleurer quand je suis sorti de la chambre : je crois qu'il avait mal, mais il avait aussi l'air un peu désespéré. Cancer de la prostate, apparemment. Le signe de la main qu'il m'a fait au moment où je franchissais la porte était émouvant. D'ailleurs nous communiquions par signes dans la chambre. Quand il me voyait crispé par les spasmes, il me faisait des signes d'encouragement. Cette communication muette et attentive m'a beaucoup aidé. Surtout la nuit, cette fameuse nuit si longue dont on égrène chaque demi-heure en se répétant cette remarque que l'on trouve dans l'une des pièces de Shakespeare : "Il n'y a pas de nuit qui ne trouve à la fin le jour". La femme qui lui rendait visite, son épouse sans doute, très attentionnée avec lui, m'envoyait elle aussi, des signes de sympathie. Je me souviendrai longtemps de cette chambre d'hôpital, même ce voisin de lit, très créatif en ronflements, exprimait une sorte de chaleur humaine particulière. C'était un policier et on lui avait enlevé, trois semaines auparavant, le gros intestin. Il disait lui-même que son cas était sérieux mais il était plein de vie, parlant fort, et donnant des coups de téléphone qui pouvaient durer une heure. 

J'ai changé le titre de cet article parce que c'est bien d'une chambre qu'il est question, une chambre d'hôpital, où l'on apprend cette étrange familiarité que l'on peut acquérir avec les drames de la vie humaine. Une chambre empreinte de "décence ordinaire" comme le disait Orwell.

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