mardi 12 février 2019

Sociang

Le ciel est magnifique ce matin : immense, bleu, sans la moindre petite tache blanche ou grise.

Hier soir, j'ai repris 1984, de G. Orwell, dans sa nouvelle traduction chez Gallimard, effectuée par Josée Kamoun en comparant cette nouvelle version à l 'ancienne (Amélie Audiberti) et à l'original. L'innovation la plus importante est certainement la traduction de newspeak, connu en français comme "novlangue", traduction que j'ai moi-même dénoncée à plusieurs reprises dans la mesure où elle faisait disparaître la dimension orale de cet usage de la langue en Océania. On lira maintenant "néoparler" mais je crains fort que le novlangue soit si bien ancré dans les habitudes des lecteurs d'Orwell que le nouveau terme risque de ne pas avoir le succès qu'il mérite. Je me demande aussi pourquoi cette nouvelle traduction d'Orwell n'a pas traduit l'entièreté de l'appendice fourni par l'auteur pour décrire les principes fondamentaux du newspeak. Il y a d'ailleurs des traductions qui me semblent moins heureuses que dans l'ancienne version. Orwell nous donne l'exemple d'une phrase trouvée dans un article du Times de l'époque : Oldthinkers unbellyfeel Ingsoc censée signifier en anglais traditionnel : Those whose ideas were formed before the Revolution cannot have a full emotional understanding of the principle of English Socialism (p. 245). L'ancienne version nous donne : "Ancipenseur nesentventre Angsoc." La nouvelle traduit de la façon suivante : "Les obsopenseurs intriperessentent le Sociang." Je préfère l'ancienne version dans ce cas. Le but du néoparler était, selon Orwell, de restreindre considérablement le champ de la pensée en édulcorant le vocabulaire, en supprimant le plus de mots possible. Ceci, en supposant, comme le dit l'auteur lui-même, que la pensée dépend des mots. Ce qui est loin d'être évident. J'aurais plutôt tendance à dire que les mots canalisent la pensée en lui faisant prendre des chemins étroitement balisés, socialement bien reconnus. Mais l'art nous montre à quel point il peut y avoir de la pensée hors les mots. Même la poésie qui nous dit, en mots, le silence des mots, nous prouve l'indépendance relative de la pensée vis-à-vis des mots.

Ci-dessous une page manuscrite de 1984.

  

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