samedi 23 novembre 2019

J'accuse

Hier soir, je suis allé voir le film de Roman Polanski, J'accuse. J'y suis allé avec Josiane dans une salle juste en face de chez elle. J'ai trouvé le film très intéressant au nom de ce qu'il nous apprend de l'armée. Le contexte d'une France très antisémite à l'époque, est évoqué mais de manière un peu trop succinte. Je ne comprends pas pourquoi les féministes ont décidé de boycotter ce film qui est très bien fait. Je suis d'accord pour dire que Polanski devrait rendre des comptes sur les abus sexuels dont il s'est rendu coupable, surtout si les conséquences de ces abus ont gâché la vie d'une ou plusieurs jeunes filles. Mais est-ce vraiment le cas ?

9 commentaires:

  1. Est-ce vraiment le cas? Mais les jeunes filles en questions avaient 11, 13, 14, 15 ans...Il y a eu viols. Ce sont des préjudices énormes, il faut se rendre compte : un adulte, puissant, dispose de toi, tu es à sa merci, il fait usage de toi, imagine ce que ça fait. Je trouve formidable que cela soit enfin totalement insupportable, que certaines choses apparaissent enfin telles qu'elles sont du point de vue de celles qui ont été victimes, c'est un soulagement immense. Enfin on se rend capable de prendre un autre point de vue, enfin on est capable de se rendre compte du mal que ça fait. Il y a beaucoup de choses qui sont source d'angoisse en ce moment mais ça, ce changement de perspective, c'est vraiment très bien.

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    1. Je continue un peu car j'aimerais bien en discuter avec toi. Dans une remise de molière Blanche Gardin évoque Polanski et se demande pourquoi on ne tient pas le même raisonnement pour les boulangers : un boulanger qui violerait des gosses dans le fournil, mais qui ferait une baguette remarquable. Polanski fait des films, il a du public, très bien. Mais on peut quand même essayer de comprendre ce que ça fait aux femmes qui luttent contre les viols (sur mineures ici), ces honneurs, cette célébrité, pendant que ses victimes, plus obscures, se voient même dénier le fait d'avoir été victimes.

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    2. Je suis tout-à-fait d'accord avec cette idée qu'il est grand temps que l'on se mette à la place des victimes de ces abus sexuels intolérables. Mais cela ne change pas mon point de vue sur l'œuvre, celle de Polanski en l'occurrence. Je n'ai pas beaucoup de temps, là maintenant, mais j'aimerais moi aussi en discuter avec toi. Il faut que j'aille dans la nouvelle maison ranger mes livres. Isabel m'attend.

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  3. Je reviens sur la discussion car pour moi (et d'autres j'en suis certaines) elle est touche des choses très importantes et il je ressens vraiment le besoin de discuter. Je prends au sérieux le dialogue nécessaire que tu as sans cesse promu à propos de ce qui compte. Je ne réagissais pas au point de vue que tu pouvais avoir sur l’œuvre mais à la phrase "Je suis d'accord pour dire que Polanski devrait rendre des comptes sur les abus sexuels dont il s'est rendu coupable, surtout si les conséquences de ces abus ont gâché la vie d'une ou plusieurs jeunes filles. Mais est-ce vraiment le cas ?". Cette phrase "est-ce vraiment le cas?" est celle à quoi je réagissais. Car il arrive un moment, comme en ce moment, où il n'est absolument plus possible de continuer à subir ce qui a été subi si longtemps par tant de femmes : pendant longtemps, il était normal de mettre en doute le fait la gravité des viols, mettre en doute le traumatisme subi, ou mettre en doute la parole des victimes. C'est pourquoi il est parfaitement compréhensible que des "féministes" ne puissent pas voir les films de Polanski et le disent : ça n'a rien d'une censure de toutes façons le film passe dans toutes les salles et il a une énorme pub. Par contre, si censure il y a eu, considérable, banale, constante, c'est celle de l'expression des victimes, autrement plus massive, plus grave, et aujourd'hui de mon point de vue, c'est cette censure subie et irréparable qui devrait nous occuper. Je vais faire un parallèle. Des personnes victimes de violences racistes de la part d'une célébrité qui diraient ne pas supporter qu'on encense l’œuvre (l’œuvre d'une ordure donc) et qui on répondrait qu'on ne les comprends pas. A propos de qui on se demanderait si ces actes ont vraiment gâché leur vie. Ce qu'il faut réaliser aujourd'hui, c'est que ce n'est plus tolérable, on ne peut opposer à ce qui a été ressenti par des victimes le point de vue de qui n'a absolument pas pu partager ce qui peut être ressenti, et qui devrait le comprendre. Et si on ne comprend pas ce qui est ressenti, alors il faut essayer de comprendre, c'est l'unique manière de préparer un avenir vraiment commun, car on ne pourra plus jamais faire porter la charge du déni aux dominé.e.s, plus jamais.

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    1. Tu as réagi à la phrase "est-ce vraiment le cas" ? C'est le fait que je puisse douter des effets terriblement nocifs de tels abus sexuels qui te fait réagir. Je connais personnellement une femme qui a subi ce genre d'abus. Elle ne veut tout simplement pas en parler. Son refus de s'exprimer là-dessus est extrêmement fort. Elle a sans doute ses raisons à elle pour se taire mais je crois que l'une d'entre elles, l'une de ces raisons, est précisément le refus de se considérer elle-même comme victime. Peut-être, était-ce cet exemple que j'avais en tête quand j'ai écrit "est-ce vraiment le cas ?" Je peux facilement comprendre cette énergie à ne pas vouloir se considérer soi-même comme une victime de la méchanceté des autres. Ce n'est pas à moi de dire si une telle attitude est bonne ou mauvaise. La libération de la parole des femmes victimes d'abus sexuels ou de violences de la part de leur conjoint me semble important et nécessaire mais je peux aussi comprendre que certaines femmes puissent ne pas vouloir s'exprimer là-dessus.

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  4. Désolée pour les coquilles, je ne peux pas modifier le commentaire posté. Encore une chose : il faut vraiment prendre le temps de lire et d'écouter celles qui crient leur colère à propos de la manière dont ce qu'a fait Polanski est toujours en encore mis au second plan : elles crient leur colère non pas à propos du film (personnellement comme tant d'autres je n'ai que faire de ce film) mais à propos des réactions à leur colère légitime qui est considérée comme une sorte d'opinion ayant même valeur que d'autres opinions. En fait on s'en fiche complètement du film, et considérer que la querelle porte sur le film c'est à nouveau minoriser et nier ce qui s'exprime. Ce qui en résulte n'est pas un "débat" au sens banal d'un échange d'arguments, ce qui en résulte est une exigence de partage sur un autre plan : est-ce qu'on est prêt, oui ou non, à considérer que des viols de mineures sont absolument intolérables? Et est-ce que ce n'est pas ça la chose importante, par rapport au fait d'aller voir un film ou non? Interpréter le mouvement de colère comme étant dirigé contre le film et comme un danger pour la liberté d'expression c'est continuer à ne pas voir qu'il y a eu privation ou minoration de la possibilité d'expression pour des milliers et des milliers d'obscures qui ne comptent pas, et qu'il faut tous s'occuper, ensemble de ce problème là.

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    1. Bien sûr que la querelle ne porte pas sur le film. Et bien sûr que le viol de filles mineures est intolérable. Je ne devrais même pas avoir à redire mes convictions sur ce point. Mais je ne suis pas à l'aise avec l'idée d'"une" parole des victimes. J'ai l'impression qu'il y a là aussi un danger, celui de réduire la singularité des situations vécues aussi bien par les victimes que par leurs bourreaux, celui de systématiser les expériences vécues, de ravaler (au sens de ravalement) les colères sous des formes convenues qui bien souvent ne conviennent pas.

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  5. Merci pour tes réactions Baudouin, notamment pour "était-ce vraiment le cas?" je crois que pour dire quelque chose des raisons pour lesquelles on parle ou on ne parle pas (nous sommes tellement nombreuses à reconnaître cette impossibilité de parler), il ne faut pas se mettre à la place des personnes et ainsi créer un malentendu sur la nature de leur position : il faut écouter les personnes, notamment celles qui s'expriment, directement ou indirectement, et cesser d'interpréter les silences à la place de celles et ceux qui sont silencieux car absolument rien ne permet de dire qu'un silence signifie telle ou telle chose concernant des traumatismes qui ont été subis par autrui.
    Il n'y a pas très longtemps à la bourse du travail il y avait plein de personnes victimes de violences à la tribune. Une philosophe a pris la parole pour dire qu'ils et elles de devaient pas se considérer comme des victimes mais comme des sujets, des sujets politiques. L'une des personnes présentes a répondu qu'elle ne voyait pas pourquoi il ne faudrait pas être "victime" quand on l'était, comme si la condition de "sujet" digne était incompatible avec le fait d'être victime, comme si être victime renvoyait encore quelque chose de négatif dans une vision qui est quand même très viriliste (quand on pense au terme "victimisation" si péjoratif). Bien sûr qu'il n'y a pas une parole des victime, mais ça n'empêche pas qu'en ce moment énormément de femmes se reconnaissent ensemble, collectivement, comme ayant été victimes, Annie Ernaux et bien d'autres ont exprimé l'immense soulagement créé par ce mouvement, qui n'est pas une "forme convenue" et qui ne retire absolument rien à la singularité de chaque expérience.

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