mercredi 22 avril 2020

Choléra

Voici un extrait du livre que j'ai terminé aujourd'hui. En ces temps de confinement, cela mérite réflexion. D'ailleurs tout ce chapitre devrait être lu par tous ceux que l'épidémie intéresse.

« Les villes ne manquent pas que de chlorure, dit l'homme en allumant sa pipe. Elles manquent de tout ; en tout cas de tout ce qu'il faut pour résister à une mouche, surtout quand cette mouche n'existe pas, comme c'est le cas. Voyez-vous, mon jeune ami, je suis orfèvre, ajouta-t-il en se calant dans le fauteuil qui touchait la petite table de jeux. J'ai exercé la médecine pendant plus de quarante ans. Je sais fort bien que le choléra n'est pas tout à fait le produit de l'imagination pure. Mais, s'il prend si facilement de l'extension, s'il a comme nous disons cette “violence épidémique” c'est qu'avec la présence continue de la mort, il exaspère dans tout le monde le fameux égoïsme congénital. On meurt littéralement d'égoïsme. Notez ceci, je vous prie, qui est le résultat de nombreuses observations cliniques, si nous étendons le terme à la rue et aux champs et à la soi-disant bonne santé qui y circule : rues et champs que j'ai beaucoup plus fréquentés que les lits. Quand il s'agit de peste ou choléra, les bons ne meurent pas, jeune homme ! Je vous entends. Vous allez me dire comme beaucoup que vous avez vu mourir des bons. Je vous répondrai : “C'est qu'ils n'étaient pas très bons.” » (de Le hussard sur le toit, Chapitre 13 (Folio t. 240) » par Jean Giono)

4 commentaires:

  1. Cher Baudouin je me dis que tu as peut-être choisi cet extrait, peut-être parce qu'il est si étrange par rapport à ce qu'on vit? Ces considérations morales à propos de la maladie sont si absurdes quand il s'agit de dire que ceux qui meurent ne sont pas bons! La préoccupation morale concernerait plutôt en ce moment les inégalités qui apparaissant dans leur caractère mortel. En ce sens ce sont les égoïstes (tels que nous) qui ont les meilleurs chances de ne pas tomber malades, égoïstes non pas par caractère individuel, mais au sens de bénéficiaires de ce dont tant d'autres sont privés. L'épidémie rend cela encore plus évident, et donne vraiment envie de le changer.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, j'ai trouvé ce passage très étrange et même, assez stupéfiant, pour tout dire. Et je crois l'égoïsme que l'auteur évoque ne concerne pas les biens matériels mais une certaine posture par rapport à la vie. Quelques lignes plus loin, Giono précise une peu sa pensée : "Mais donnez moi simplement quelqu'un qui s'oublie. Voilà le mot que je cherchais ; quelqu'un qui ne pense pas à lui-même et qui, par conséquent, ne cherche pas des moribonds dans des tas de cadavres pour se donner le plaisir de sauver, comme vous venez de me dire que voytre petit médecin faisait. Donnez-moi quelqu'un qui oublie son foie, sa rate et son gésier. Celui-là ne meurt pas. De choléra tout au moins. De vieillesse sans doute, mais de choléra, non."
    Ce passage est également assez bizarre mais on comprend ce que l'auteur veut dire. Je retiens ce passage au nom de l'usage qu'il fait de l'oubli : s'oublier, oublier son propre corps... pour être entièrement avec le monde, avec les autres.

    RépondreSupprimer
  3. Merci cher Baudouin d'avoir mis ce passage. Le personnage qui oublie qu'il est vivant meurt quand même, cette idée d'indifférence totale à soi est aussi un paroxysme d'une idée d'exception humaine et de puissance qui ne passe plus : on est des êtres vivants vulnérables qui peuvent tomber malades comme les animaux et les plantes.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bien sûr que l'on peut tomber malade et même mourir comme les animaux et les plantes. Je ne crois pas que l'oubli de soi, de son corps, de son foie, soit la même chose qu'une "indifférence totale". Pour moi, l'oubli de soi c'est la condition d'une attention à l'autre et aux choses.

      Supprimer