mardi 21 septembre 2021

Zbyszek

 Il y a quatre ans déjà, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2017, notre grand ami philosophe Zbyszek est mort à l’Hôpital Santa Maria. Je pense bien souvent à lui et à ce poème magnifique que nous avons lu sur sa tombe, le 22 septembre, quand nous l’avons accompagné au cimetière avec pour arrière fond musical la musique « Litania » interprètée par Stanko. Le poème était celui de Wislawa Szymborska, « Conversation avec la pierre » :

Je frappe à la porte de la pierre // « C’est moi, laisse-moi entrer // je viens te voir, te visiter // sentir ton souffle » //

 « Va-t-en, dit la pierre // je suis fermée à clé. // Même brisée en morceaux // nous resterons toujours fermés, // même réduite en sable // nous ne laisserons entrer personne. » // 

Je frappe à la porte de la pierre // « C’est moi, laisse-moi entrer. // Je viens par simple curiosité // et la vie est l’unique occasion. // Je voudrais seulement me promener dans ton palais // avant d’aller visiter la feuille et la goutte d’eau. // Je n’ai pas beaucoup de temps // car je n’ai qu’une vie. //

— Je suis faite de pierre, dit la pierre. // Je dois rester sérieuse. Va-t-en, // tu vois bien que je n’ai pas les muscles du rire. //

Je frappe à la porte de la pierre // — C’est moi, laisse-moi entrer. // On dit qu’il y a chez toi des grandes salles vides // majestueuses et sans bruit de pas // que personne n’a jamais vues. // Avoue que tu ne les connais pas toi-même. //

— De grandes salles vides c’est vrai // mais il n’y a pas de place, dit la pierre // Belles, peut-être // mais pas d’une beauté perceptible à tes sens. //Tu peux me savoir, mais jamais me connaître. // Tu me vois en apparence mais pas dans mon essence // Je frappe à la porte de la pierre // — C’est moi, laisse-moi entrer. Je te promets de ne pas m’éterniser chez toi // ni prendre refuge // Je ne suis pas malheureuse et j’ai un domicile. // Et puis le monde vaut la peine qu’on y retourne. // J’entrerai chez toi et ressortirai les mains vides // sans toucher à rien. // 

Comme preuve de ma visite // j’écrirai seulement quelques mots // et d’ailleurs personne ne me croira. //

— Tu n’entreras pas, dit la pierre. // Tu n’as pas le sens du partage // et aucun autre sens ne peut le remplacer // pas même la clairvoyance de l’au-delà // Tu n’entreras pas, // tu ne connais pas le partage // tu n’en as qu’une image lointaine. //

Je frappe à la porte de la pierre // — C’est moi, laisse-moi entrer. // Je ne peux pas attendre deux mille siècles // pour venir chez toi. //

Si tu ne me crois pas, dit la pierre // demande à la feuille, elle te dira la même chose, // et la goutte d’eau te dira comme la feuille. // Tu peux même demander à un cheveu de ta tête, si tu veux. // Tu me fais rire, tiens. D’un immense éclat de rire // comme si j’avais appris à rire. //

Je frappe à la porte de la pierre // — C’est moi, laisse-moi entrer. //

—  Je n’ai pas de porte, dit la pierre.




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