lundi 17 juin 2013

Chutes

Dernière semaine de traitement.
"Un croque !" commandait Charlotte à sa mère, cette nuit dans mon rêve. Quant à moi, toujours dans ce rêve, j'ai eu droit à des espèces de pâtés rebondis, peu attrayants et dont je n'ai même pas rêvé la saveur, heureusement peut-être. Hier après-midi, nous sommes allés rejoindre Elsa, Joba, Béatrice et leur invitée, Charlotte, à Sintra, dans le magnifique hôtel où ils s'étaient mariés. Piscine, tennis, jardins, luxe, calme et volupté... Charlotte adore ce genre de parenthèse à la vie quotidienne. Isabel aussi. Personnellement, j'y suis peu sensible. Le luxe m'incommode. Je n'aime guère que ce soit les autres —une équipe de professionnels aux petits soins— qui se soucient de mon confort et de mon bien-être. Je préfère en prendre toute la responsabilité moi-même.
J'ai échangé quelques balles de tennis avec Isabel et, ma foi, à part une chute de tout mon long que je me serais bien épargnée, j'ai apprécié cet échange. Il faudrait que nous nous inscrivions à un club et que nous jouions plus souvent.
A mon âge, faire une chute est un événement qui cause des sensations fortes. L'équilibre se rompt et brusquement le corps, avec ce poids qu'il a et qu'on ne sent plus dans l'instabilité qu'il acquiert d'un coup, bascule dans une sorte de désordre gestuel qui vous entraîne implacablement vers le sol. On vit la chute au ralenti, l'esprit ne suit pas, et on se retrouve étendu dans la poussière avec encore, dans la tête, les images du mouvement qui vous terrasse. Allongé par terre, on tombe encore. Et la maladresse avec laquelle on se relève fait encore partie de la chute, curieusement.
Ma vie passée est rythmée par des chutes de ce genre. Plusieurs à vélo à Paris, dont l'une, mémorable, un samedi matin, alors que je me rendais à un séminaire de philosophie dont j'étais l'un des intervenants.  Un chien surgit en courant d'entre deux voitures en stationnement le long de la piste cyclable du Boulevard Richard Lenoir et veut passer entre les deux roues de mon vélo. Ma roue arrière se soulève en passant sur son corps. Je m'envole et m'étale, déchirant mon dernier costume, tandis que le chien s'enfuit en jappant dans des aigüs désaccordés. J'ai quand même livré mes pensées philosophiques à un petit cercle d'auditeurs polis qui n'ont pas chicané mes arguments, comme pour ne pas aggraver l'état de mon costume.

3 commentaires:

  1. Voilà une belle description littéraire de la chute. Au sein de la formation que j'anime, j'apprends aux gens à chuter. Il y a deux week-end, nous n'avons cessé de pratiquer la chute en tombant de tout son long, à proprement dit, ou à tomber vers le haut, à se laisser tomber surtout. Tomber au sol, tomber dans un cercle de bras et tomber de haut, comme une star de rock qui se jette de la scène. Nous avons pris une échelle et chacun tombait dans le groupe les mains tendues. On ne le dirait pas mais tomber c'est tout un art. Les spectacles de danse régis par les plus grands chorégraphes, Jiri Kylian, Angelin Preljocaj, Pina Bausch, et j'en passe, sont des sériede chutes superbes les uns avec les autres, contre les autres, entre les autres, au travers des autres. Une belle chute peut être révélatrice, vigorifiante, régénératrice, stabilisante et même équilibrante sii on fait confiance aux réflèxes qu'elle met en vigueur.

    RépondreSupprimer
  2. Well, it is finally my turn to contribute to this blog. I’ll do it in English because this is the language in which I do the bulk of my writing, and so it is the easiest, and it will also, no bad thing, internationalise the blog. Although I have some books to my name, writing is never a simple business and I can sense it now. I have never written in a blog or have participated in some internet exchange. So why write now? After all, I see Baudouin several times a week and we speak a great deal. But, in fact, the answer is quite simple: it is another way of expressing solidarity. And also because two days ago Baudouin posted on the blog a photograph of the two of us and I was touched (and also amused by his description of me).
    It is difficult not to be affected by this story, from the painful moment when we all discovered that the day before Baudouin was wrongly led to believe that Dedule had gone away to the suffering he is going through at the moment; all this, can’t not leave a mark. But what makes the greatest impression on me is that throughout this Baudouin seems to have never lost his ‘bonne mine’. This tells me something about the spirit. In five days, recovery will begin; this spirit will help you Baudouin to regain strength and you will continue with your slow motion falls.
    Je t’embrasse
    Z.

    RépondreSupprimer
  3. I like what you've written, dear Z. It is an incentive for other readers (there are quite a number in United States, as I've noticed before !) to participate. And I do need that kind of support. Thank you, Z. You are magnificent !

    RépondreSupprimer