Ça remue, ça pue, ça tremble de froid ou de peur, ça hurle, ça pleure, ça pisse, ça pète, ça chie, ça gronde, ça grogne, ça colle, ça saigne, ça titube, ça mord, ça saigne, ça pue, ça bruisse, ça glose, ça pisse, ça pue, ça cogne, ça hurle, ça vomit, ça grince, ça éructe, ça bouscule, ça bouge, ça souffre, ça crie, ça crache et ça pue... La salle des urgences, c'est comme un port encombré : les lits sont des bateaux que l'on remue lentement sans arrêt pour laisser la place aux nouveaux venus pendant que d'autres sont roulés par la vague hors de la salle. J'ai changé de place au moins une dizaine de fois au cours des 36 heures que j'y ai passées avec, chaque fois de nouveaux voisins, tous vieux comme moi, certains avec des couches pleines de merde, qui envahissaient le coin d'une puanteur désagréable.
Ça, c'est le service des urgences de l'Hospital Sao José, juste à côté de chez nous, où je me suis fait réparer l'œil gauche avec 22 points de suture à la suite d'une chute au bout de notre rue devant l'entrée d'un excellent restaurant de poissons, il y a quelques années. Ça c'est la matière humaine, une matière bien vivante, quoique, ce matin même, on sortait en catimini, un corps, couvert, sur le lit qu'il a dû occuper,. L'un de mes voisins dans cette petite cour des miracles, ressemblait fort à mon ami Marc, de Paris. Il avait le même regard plein d'intelligence fine et rusée. Je le mentionne parce qu'effectivement je ne pouvais pas m'empêcher de penser à Marc en le regardant à travers notre misère d'hommes âgés, Il était tout près de moi, et me regardait. Peut-être lui faisais-je aussi penser à un vieil ami. D'ailleurs ce matin, il a quité l'hôpital en même temps que moi. Mais, auparavant, il y a eu, au milieu de la nuit l'arrivée tonitruante d'Helena, une jeune femme en colère qui, tantôt, invectivait le monde entier, tantôt se mettait brusquement à évoquer ses deux magnifiques petites filles, tantôt, éclatait en sanglots bruyants, puis revenait à son histoire personnelle sous le regard légèrement réprobateur du personnel infirmier. Le jour d'avant, il y a eu Gabriel, un Cabri selon Isabel, c'est-à-dire un métis du Cap Vert ou d'ailleurs, qui a fait ébranler les murs de la salle où nous nous trouvions, des mots de la colère dans laquelle l'a mis un membre du personnel dont le comportement aurait été discriminatoire à son égard. "Je suis Noir", criait-il avec une voix de stentor, vraiment impressionnante. Il y a aussi eu le Gitan qui, la première nuit, a psalmodié le nom de sa mère "Ai, Mãe, ai, Mãe...". Il se plaignait de grandes douleurs au ventre et revenait des toilettes en courbant le dos et en se tenant le ventre à deux mains. Mais l'équipe médicale n'a rien découvert de pathologique dans l'intérieur de son corps. Alors sa femme et son fils sont venus discuter de manière un peu menançante avec les membres de l'équipe. Les médecins sont venus et ont maintenu leur position. La femme est revenue à plusieurs reprises durant la période de 36 heures que j'ai passée là-bas. Il ne faut pas croire que ce fut une expérience pénible, bien au contraire. J'y ai beaucoup appris et j'ai fait un bon dans ma compréhension de la langue portugaise. J'étais plongé tout seul dans ce bain de langue dont je réussissais mieux à appréhender la segmentation lexicale, chose certainement la moins évidente pour un étranger comme moi.
Voilà comment j'ai passé cette dernière journée aux urgences pendant que Macron faisait des ronds de jambe de petit marquis au bras de son grand ami Trump à Notre Dame de Paris, qu'en Syrie, les rebelles libéraient Damas de l'étau tyranique de Bachar al-Assad et qu'à Gaza, l'armée israélienne continuait soigneusement son grand massacre des Palestiniens...
Ça !
71e article évoquant Macron!!! Au moins, il vous distrait.
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