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mardi 9 novembre 2021

Remplacement

 Cela fait quelques jours maintenant que je veux écrire un texte sur cette idée de « grand remplacement », défendue de manière répétitive par Eric Zemmour et reprise à foison par les médias et, bien qu’à demi-mot, par les partis de droite. L’occasion d’en parler m’est offerte par le livre de Pierre Bayard, Œdipe n’est pas coupable (Éditions de Minuit, 2021) que j’ai lu hier. Le propos de Bayard, comme dans ses livres précédents (je les ai lus presque tous), est de relancer une enquête sur une affaire du passé, en l’occurrence le parricide commis par Œdipe sur celui dont il ne savait pas que c’était son père, Laïos, histoire racontée par Sophocle dans la célèbre tragédie Œdipe roi, au Ve siècle avant Jésus-Christ.. L’auteur avance l’hypothèse qu’Œdipe est sans doute innocent du meurtre de son père et le raisonnement qu’il nous offre en incriminant un autre personnage de cette tragédie est assez convaincant. Je ne vais pas dire qui c’est. Mais, pour revenir au lien entre ce texte et l’idée de « grand remplacement », il me semble nécessaire de citer le passage qui me l’a fait sentir : « La pensée s’arrête, effrayée, à la seule idée qu’une partie importante de notre vie inconsciente puisse être dirigée contre nos proches, en particulier nos propres enfants. Une pensée d’autant plus insupportable qu’elle ne concerne pas les individus seuls, mais doit sans doute être étendue aux groupes et aux sociétés. N’arrive-t-il pas à celles-ci de privilégier leur confort à la vie future de leurs enfants et de se désintéresser du destin de ces derniers, voire de souhaiter inconsciemment qu’ils ne leur survivent pas ? Aucune société […] ne saurait reconnaître sans miner les bases sur lesquelles elle est bâtie qu’elle peut être animée, dans les idées qui la traversent comme dans ses institutions ou ses comportements collectifs, par la volonté de tuer ceux qu’elle a mis au monde, voire de leur interdire d’avoir un avenir. » (P.177)

En réfléchissant au « grand remplacement » de Zemmour, je m’étais dit qu’il s’agissait en fait d’un fantasme nourri par ce qui est effectivement le grand remplacement des générations, largement compromis aujourd’hui par le réchauffement climatique, d’ailleurs, mais néanmoins inéluctable. Ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui remplaceront les vieux et cela est vrai depuis vraiment très, très longtemps. Évoquer l’idée que ce « grand remplacement » implique des populations maghrébines de religion différente, c’est d’abord le résultat d’un déni lié à la succession des générations. En déplaçant le sens de ce remplacement pour en rendre responsable et/ou coupable des populations étrangères, Zemmour participe au négationnisme qui affecte la question du climat et permet à la génération des vieux —dont je fais partie, évidemment— d’ignorer ses responsabilités dans la survie de ceux qui suivront. Le succès de cette idée malheureuse pose question. Ne faut-il pas y voir une manière sociale et culturelle d’échapper à notre destin mortel ? À l’heure où les religions ne peuvent plus rien promettre, l’écho que cette idée peut avoir sur des populations désorientées par l’absence de toute possibilité de consolation divine, ne peut qu’être très important et surtout, dévastateur.

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