J'ai rencontré le poète français Philippe Despeysses, hier en fin de matinée, qui m'a fait connaître un poète portugais que je ne connaissais pas, Nuno Júdice, dont j'ai acheté l'un des nombreux livres : Un chant dans l'épaisseur du temps (NRF, Poésie/Gallimard, 1996 pour la traduction française de Michel Chandeigne). Ce sont des poèmes magnifiques. J'en choisis un, pour sa brièveté (la plupart d'entre eux sont beaucoup plus longs). Le voici :
SERPENT
La mélancolie enseigne que le trait définit
tout, depuis l'émotion du visage jusqu'à
la montagne au soleil couchant.
Je veux également citer cette anecdote que Júdice rapporte dans la préface à son livre :
"Je me souviens, il y a quelques années, d'avoir participé à un dîner en l'honneur de Jorge Luis Borges,qui venait de recevoir une décoration. A un moment, je me suis approché de lui lorsqu'il ouvrait l'écrin de sa décoration et, bien qu'aveugle, il a demandé des lunettes. Quelqu'un lui en a prêté une paire qu'il a mise sur ses yeux. Je me suis posé la question, à cette occasion : qu'a-t-il pu voir ? Aujourd'hui, cette interrogation m'apparaît vaine. La vision, en quelque sorte, est une propriété de l'objet : les lunettes, comme le poème ; et dès que cet objet, dans ses qualités matérielles — le verre, comme les mots — est construite de façon parfaite, il nous permet toujours de voir quelque chose, même si on est privé d'yeux, même si on est insensible au langage du poème." (p. 12-13)
Cette anecdote m'a fait repenser à une scène qui se reproduisait parfois avec ma première épouse, Irène, qui était très myope et portait des verres de contact qui, à l'époque, n'étaient pas fabriqués dans une matière souple comme aujourd'hui, ce qui fait que de temps en temps, l'un de ses verres, sautait pour ainsi dire, au nom d'une contraction trop brusque de la cornée. Aussitôt, Irène mettait tout le monde à contribution pour retrouver le verre perdu, un bout de matière transparente qui, en outre, pouvait rouler loin de son point de chute sur le tapis. Ce qui était surprenant, c'est que c'était toujours elle même, sans même la qualité de vue que lui assuraient ses verres, qui retrouvait l'objet perdu. Je me souviens avoir eu une réflexion analogue à celle de Júdice : c'est bien l'objet même qui la voyait, lui faisant signe en quelque sorte, pour lui dire : "Je suis là."
Deux petites bêtes
Vibrantes dans les oreilles :
Se couper du monde
Reste là, repose
Ô corps, coule dans l'osmose
Entre rêve et mort
Reste là, repose
Ô corps, coule dans l'osmose
Entre rêve et mort
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