À la fin de son livre, Philippe Lançon, grand lecteur de Proust qu'il mentionne souvent pendant son hospitalisation à la Salpétrière et aux Invalides, évoque cette question du temps. Il écrit, p. 483 : "Proust se rappelle tout, peut-être parce qu'il ne lui est arrivé à peu près rien ; mais il aurait sans doute oublié comme la petite Ophélie, de quelle façon il est tombé un soir d'hiver du balcon des Guermantes sur le pavé disjoint — lequel ne lui aurait rien évoqué d'une enfance désormais abolie. Et, au lieu du temps perdu et retrouvé, nous aurions eu droit à ce que nous vivions : au temps interrompu. Le livre aurait été plus court, moins génial sans doute : le génie aussi est déterminé par les limites qu'il franchit. Le temps de l'événement brutal est obscur et infini. Il n'a pas de limites."
Cette idée d'événement brutal "obscur et infini", me fait penser à cet accident que j'ai eu, à Strasbourg (ou plutôt, à Schiltigheim, si je me souviens bien) il y a plus de trente cinq ans. Je roulais assez vite dans la rue Principale quand je vois, débouchant sur ma gauche une grosse voiture qui n'en finissait pas de traverser lentement, comme au ralenti, la rue devant moi. Je l'ai heurtée violemment à l'arrière et j'ai fait plusieurs tonneaux au cours de l'un desquels la portière avant s'est ouverte et j'ai été éjecté de mon siège. Je me souviens fort bien du vol circulaire de ma voiture bleu-azur au dessus de ma tête dans un geste dont la lenteur, reconstruite par le souvenir que j'en ai encore, manifestait une sorte de grâce surprenante. J'étais allongé sur l'asphalte, indemne, apparemment. L'autre conducteur qui, comme moi, avait un peu bu, a vu sa voiture virevolter en d'impressionnants tête-à-queue. Il était lui aussi indemne. Heureusement.
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