Je viens de lire le superbe tout petit livre de Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Paris, Gallimard, 2010, qui raconte très joliment ce rapport d'un enfant aux animaux du coin qu'il habite et partage avec eux à la campagne. Cela commence avec l'évocation de sa fascination pour une cétoine émeraude, puis les insectes d'arbre que l'on retire délicatement des trous du bois mort comme des jouets ; il y aura ensuite le bouvreuil et le geai, puis enfin, cet écureuil que l'enfant qu'il était, tue d'un coup de cette carabine reçue comme récompense à un bon résultat scolaire. Et, bien sûr, en lisant les effets culpabilisants de ce meurtre, je n'ai pas pu m'empêcher de penser au crime analogue que j'ai commis, enfant : mon frère Jean-Pierre me prête la carabine à plomb qu'il venait de recevoir en cadeau pour je ne sais plus quelle raison. Je sors dans le minuscule jardin de la maison et je vise des boîtes de conserves ou de vieux pots de confiture sans le moindre succès. Il semblait bien que j'étais un chasseur à la manque, comme Pierre Bergounioux, quand, juste avant de rentrer résigné, j'avise une hirondelle perchée sur le fil télégraphique qui reliait notre maison au réseau. Je n'y croyais pas, ayant manqué toutes mes cibles antérieures, et c'est sans doute la raison pour laquelle, sans conviction, je pointai l'arme vers l'animal. Je tirai et, à mon grand étonnement, l'oiseau tomba à mes pieds, percé par le plomb minuscule de mon fusil d'enfant. Mon père me gronda, accentuant la blessure que je ressentais après avoir tué cette hirondelle, la première venue sans doute, en mars, pour nous annoncer le printemps.
Comme les signes ne viennent jamais seuls, ce matin même, je lis dans Libération, l'éditorial de David Vann, l'auteur de ce livre extraordinaire, Legend of a Suicide, qui a été traduit en français sous le titre (anglais !) Sukkwan Island et qui raconte le séjour de chasse d'un père et son fils sur une île sauvage en Alaska. La lecture de cet ouvrage vous donne l'occasion de subir un véritable choc, à mi-parcours, à cause d'un événement que le récit rendait impossible et qui, néanmoins, se produit, plongeant le lecteur dans une expérience de désarroi incroyable.
L'éditorial de David Vann dans Libé est encore une histoire de chasse s'il faut en croire le titre : "Il est temps de tuer Dieu et la patrie". Voici un extrait de cet article :
"Aux Etats-Unis, dans un coin rural de la Floride, je me retrouve à devoir convaincre mes voisins que les faits existent ; que l’Associated Press ou le New York Times sont des sources plus crédibles que Fox ou Breitbart ; que des millions de Syriens ne vont pas venir leur piquer leurs emplois, que la grandeur de l’Amérique n’existe pas et ne devrait pas être recherchée, et que la devise du pays, «God Bless America» - que Dieu bénisse l’Amérique - ne devrait plus jamais être prononcée. En France, vous êtes confrontés à la même chose. Chacun devrait convaincre ses voisins qu’un gouvernement très à droite est plus dangereux que les terroristes, que la France ne devrait pas poursuivre des rêves de grandeur et que Dieu est mort."
Le problème c'est que nos armes de chasse sont impuissantes face à une telle cible. N'est-il pas scandaleux qu'il soit plus facile de tuer une hirondelle que de chasser Dieu de nos têtes ?
Cela ne doit pas me faire oublier mon haïku quotidien :
Cela ne doit pas me faire oublier mon haïku quotidien :
Broussailles
d’antennes
Hésitations du vent
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