Ce matin, alors que je pratiquais l'exercice de l'équerre, j'entendais l'interview de Georges Didi-Huberman qui évoquait le symbolisme lié à la porte, en s'appuyant notamment sur la scène du Procès de Kafka, où l'homme de la campagne ne franchit pas la porte qui pourtant lui était destinée. Les propos de Didi-Huberman étaient très intéressants. Mais quelle ne fut pas ma surprise de retrouver cet après-midi, dans le roman de Frank Witzel, un passage qui évoquait de manière incroyablement fidèle à ce que j'avais entendu le matin sur France-Culture :
"Mais qu'est-ce qui nous fait sortir de ce marécage qui nous entraîne constamment vers la profondeur, celui de notre constitution émo-tionnelle et donc généralement, humaine, sinon la porte, cette invention fondamentale de l'être humain, qui semble tellement liée à sa nature la plus profonde que l'on aurait envie de paraphraser un mot célèbre de Jacques Lacan : L'inconscient paraît strucutré comme une porte. Hubert Fichte ne voulait pas être le quatre cent cinquantième Blanc qui mène des recherches sur les portes des Dogons, il préférait apprendre quelque chose sur les institutions psychiatriques. Mais ne se peut-il pas que la porte soit justement étroitement apparentée à la psyché ? Car c'est le malade mental qui, souvent, considère qu'il est menacé au plus profond de lui-même par un orifice, un trou, un passage, une membrane, bref : une porte. La porte signale la nature de l'autre, car sans elle il n'y aurait pas de possibilité d'apprendre quoique ce soit sur ce qu'il y a derrière l'autre et sur son espace. Elle n'apparaît qu'au fou comme un additif véniel à la chambre ou au bâtiment, et au seul inattentif comme un afaiblissement des strucutres, alors que, justement, lors des catastrophes, on cherche refuge dans les cadres des portes, puisque ce sont elles qui restent debout. Plus de maison, juste une porte. À côté des décombres. Dans la rue. Cela aussi correspond au sentiment existentiel du malade mental, qui n'est plus que passage, auquel manquent les bornes, les murs. Il croit être devenu d'un seul coup sans limites, puisqu'on peut aussi contourner une porte qui n'est accrochée à rien. Mais celui qui l'a fait une fois, en a contourné une à la campagne ou sur un terrain vague, celui-là sentira encore plus sa force son action, celles d'un crime contre les lois de la nature. La porte est symbole de la ville, ce qui explique pourquoi, chez Kafka, c'est un homme de la campagne qui veut qu'on le laisse franchir la porte et qu'on ne laisse pas passer, du fait même qu'il est de la campagne, bien que la porte ne soit destinée qu'à lui, en tant que porte de la conversion, si l'on peut dire, que je peux seulement franchir si je me défais de mon origine et de l'espoir de trouver ce qu'il y a derrière pour accéder à la grâce du passage. Une maison pleine de mets, la porte y est oubliée, dit une énigme pour enfant qui ne peut plus penser le monde sans porte et ne peut pratiquer l'appropriation du monde qu'à l'aide du portail à projeter sur tous. Auncu théâtre de boulevard ne fait l'économie d'une porte."
(pp 765-767). Et, bien sûr, ça continue dans le même style pendant plusieurs pages de cet immense livre.
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