Mon fils Fabien [https://fabien-daytoday.blogspot.com/] a intitulé son article du 14 août Hate. Je le mentionne parce que la dernière nouvelle de Krzyzanowski, intitulée "La houille jaune" a justement pour thème la haine. Dans ce récit qui date de 1939, grâce aux recherches et aux innovations technologiques du professeur Lekr, la haine devient la source d'énergie qui permet à la planète de continuer à vivre après la ruine de toutes les autres sources d'énergie. Le diagnostic posé au début de cette nouvelle est impitoyable : on dirait que l'auteur fait le constat de ce qui se passe aujourd'hui, en 2018. Jugez-en plutôt :
"Le baromètre économique de l'université de Harvard indiquait en permanence "mauvais temps". Mais si précises que soient ses mesures, elles ne pouvaient prévoir une aggravation aussi rapide de la crise. Sous l'action conjuguée des guerres et des éléments la planète s'était mise à dilapider toutes ses énergies. Les puits de pétrole avaient tari. La puissance énergétique des houilles noire, blanche, bleue et verte diminuait de jour en jour. Une sécheresse sans précédent, multipliant les équateurs par dix, avait, semblait-il, désorienté la terre exténuée. Les blés étaient brûlés sur pied. La fournaise enflammait les forêts. Les selves d'Amérique et les jungles des Indes flambaient, noires de fumée. Les pays agraires furent les premiers ruinés. Il est vrai qu'à la place des arbres réduits en cendres, s'élevaient, comme des forêts aux troncs cendrés, les fumées des usines. Mais leurs jours étaient comptés. La pénurie de combustible menaçait d'immobiliser les machines. Même la neige des glaciers, fondue par la chaleur de l'été permanent, ne pouvait constituer une réserve sûre d'énergie hydraulique ; les rivières bombaient leurs fonds dénudés et les turbogénérateurs étaient sur le point de s'arrêter.
La terre avait la fièvre. Fouettée par les verges jaunes du soleil, elle tournait comme un derviche finissant sa danse frénétique.
Si les États avaient supprimés leurs frontières politiques, s'ils s'étaient venus en aide, il y aurait quelque espoir de salut. Mais les idées atatistes [du latin atat (cri de guerre, de victoire des Romains de l'Antiquité). Ici : patriotisme cocardier. Note de l'auteur SK] ne faisaient que se renforcer dans l'adversité, et tous les reichs des vieux et des nouveaux mondes, tous les staats, toutes les républiques et tous les lands se recouvraient, comme les poissons au fond des lacs asséchés, d'une pellicule visqueuse, se retranchaient derrière leurs frontières comme dans un cocon, augmentant de façon inouïe leurs droits de douane. La seule organisation de type international était la Commission pour la recherche de nouvelles énergies : la CORNE. Elle promettait une somme à sept chiffres à celui qui découvrirait une nouvelle ressource énergétique, une force motrice jusqu'alors inconnue sur terre." (p.138-139)
Oderint [en français : "qu'ils haïssent"] est le projet présenté par le professeur Lekr, lauréat du concours de la CORNE.
"— Mon projet est simple : je propose d'utiliser l'énergie de la haine partagée entre un grand nombre d'individus. Il se trouve que sur le clavier étendu des sentiments, les touches noires de la haine ont une tonalité spécifique, nettement différenciée. Alors que d'autres émotions, comme par exemple la tendresse, la sympathie... s'accompagnent d'une baisse du tonus musculaire et d'un certain relâchement du système moteur de l'organisme, la haine, elle, est entièrement musculaire, elle est toute dans la tension des muscles, le serrement des poings et la crispation des mâchoires. Ce sentiment ne trouve aucune issue car la société l'étouffe avec des sourdines, le mouche comme une lampe, et voilà pourquoi il produit de la suie et non de la lumière. Mais si on retire les sourdines, si on permet à la bile de s'infiltrer au travers des barrages sociaux et de jaillir, alors cette houille jaune, comme je l'appelle, refera tourner les volants immobilisés de nos usines et des millions de lampes brilleront grâce àl'électricité biliaire et..." (p.142-143)
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