J'ai vraiment eu du mal à m'endormir la nuit dernière. Mon état de veille n'était pas agréable : il faisait trop chaud et en plus, j'étais constipé, ce qui, dans ma situation, n'arrangeait pas les choses. "A éviter", m'avait dit le Dr Beatrice X... Et en effet, je ne sais pas comment cela va se terminer. Mon ventre se fait passer pour un bloc de pierre. Mon insomnie m'a cependant permis de penser à plein de choses intéressantes. Notamment, en liaison avec ma lecture du livre de Giordan et Golay, sur la question du changement. Il faut changer, écrivent-ils en substance, et pour ce faire, il faut apprendre. Apprendre ou... désapprendre ? comme Diderot l'aurait formulé. Défaire les noeuds qui nous lient à un certain nombre d'habitudes et de pensées rituelles. Lâcher prise. Quand on m'a annoncé pour de bon que ma tumeur était maligne, j'ai immédiatement décidé de faire un jeûne. Le lendemain matin, je buvais de l'eau en guise de petit déjeuner. De l'eau, au déjeuner et encore de l'eau au dîner. Et entre ces repas assez frugaux, toujours de l'eau.
Mon jeûne a duré 14 jours et deux semaines plus tard, j'en entamais un autre avec mon frère Patrick. 14 jours également. Le médecin a levé ses sourcils en ayant l'air de dire :
"Ces malades font vraiment n'importe quoi. Internet les rend fous."
Même si ma décision de jeûner n'a pas eu les effets que j'espérais sur mon cancer naissant, je ne la regrette absolument pas. Au contraire. D'abord, il y a les effets d'une décision, une vraie décision, irréversible, une décision qui change effectivement les choses sans que l'on sache vraiment ce qui change. Cette décision je l'ai prise seul. Et bien sûr que je prenais un risque. Mais je ne crois pas que l'on puisse changer sans prise de risque. Le changement affecte notre devenir et cela est toujours risqué. Changer, c'est déjà mourir. Non pas de cette mort qui conclut funestement une maladie, celle-ci étant sans doute souvent liée à une sorte d'immobilité psychique et physique, une impossibilité de changer. Quand on change, il y a une part de soi dont il faut faire son deuil, il y a un "soi" auquel on renonce. Renoncer à soi, n'est-ce pas mourir ?
Les deux jeûnes successifs que j'ai faits résultent d'une décision qui m'engage dans une aventure risquée. Non seulement je ne les regrette pas, mais je vais sûrement en refaire, régulièrement. La maladie nous rappelle que la mort fait partie de la vie. Et qu'il faut vivre sa mort plutôt que vivre sa maladie.