La nuit dernière, j'ai eu une insomnie qui m'a paru durer plus longtemps qu'elle n'a réellement duré sans doute. Je me suis de nouveau accroché à cette rencontre entre la courbe et la tangente. Il s'agit d'un point. Euclide définit le point comme ce dont "la partie est nulle", comme ce qui n'a pas de parties. Mais alors le point où se rencontrent la courbe et la tangente ne peut être un point qu'à la condition d'abolir ce qui, en lui, est courbe, ainsi que ce qui, en lui, est tangente. Je peux concevoir ça. Je ne peux m'empêcher de faire revenir ce souvenir d'un séminaire que j'ai animé devant un groupe de mathématiciens de l'Université de Bordeaux. Après le séminaire, un des membres de mon public s'est approché pour en savoir un peu plus sur mon compte, je suppose. Après quelques échanges d'une grande banalité, je lui ai demandé sur quoi il travaillait et il m'a répondu que cela faisait plusieurs années qu'il travaillait sur sa thèse. "Et quel est le sujet de votre thèse ?" demandai-je. "Je travaille sur le point", me répondit-il. J'ai le sentiment aujourd'hui, surtout après mes rêveries d'insomniaque, que c'est un sujet beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. N'oublions pas qu'Euclide a utilisé le terme de sémeion, dans sa définition du point. Sémeion, c'est aussi le signe, "ce dont la partie est nulle" bien que, depuis très longtemps, nous lui reconnaissons une double composante : signifiant et signifié. Se pourrait-il que, comme pour la rencontre de la courbe et de la tangente, où s'annule ce qui relève de l'une et de l'autre pour accéder au statut de point, une sorte d'annulation analogue est ce qui caractériserait la rencontre signifiant/signifié pour faire exister le signe. Celui-ci ne serait véritablement signe qu'en nous détachant du monde pour nous faire entrer, depuis toujours, dans ce fameux métaverse, dont on nous rebat les oreilles mais qui n'aurait pas grand chose de nouveau, en vérité.
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jeudi 31 mars 2022
mercredi 30 mars 2022
Pente
C'était une sorte de rêve éveillé, une rêverie du genre de celle que préconise David Bessis pour stimuler notre imagination mathématique. Je me trouvais en équilibre sur une tangente au sommet d'une courbe qui devait continuer à descendre tandis que je devais sauter de tangente en tangente en suivant cette courbe qui m'entraînait vers le bas. Comme le disait David Bessis, mes mots ne rendent absolument pas compte de la manière dont mon intuition se créait des images pour représenter cette descente aux enfers. Tout se passait comme si, en prenant conscience de cette descente, je réussissais à me maintenir au sommet de la courbe. Cela paraît très contradictoire, je sais, mais il ne fallait s'attendre à aucune catastrophe. Le mot "pente" revenait sans arrêt au cours de cette rêverie quelque peu singulière !
mardi 29 mars 2022
New Yorker
J'ai enfin une date pour la prochaine opération. Ce sera le 7 avril. D'ici là, il me faudra survivre avec tous les inconvénients de la première opération du 21 mars. Une perspective qui ne m'enchante guère. Mais, bon ! Il faudra bien faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Ce n'est pas autre chose qu'une habitude à prendre.
Je viens de lire l'interview, dans le New Yorker, de cet auteur norvégien que ma sœur Martine m'a fait connaître en m'offrant le premier volume d'un récit qui en compte cinq autres sous le titre My struggle. L'auteur en question est Karl Ove Knausgaard. Ce dont il témoigne à propos de son écriture, qui est comme l'instrument d'une enquête sur ses propres souvenirs, capable de retrouver des éléments de sa vie qu'il croyait lui-même perdus à jamais... mais non, on peut retrouver des fragments de notre vie passée, grâce à une forte détermination, un travail soutenu et une certaine disponibilité à voir surgir des choses imprévues... ce dont il témoigne donc c'est surtout, dans cet interview, les effets de son entreprise sur ses proches et sur la représentation qu'il a de lui-même. Car en effet, cet auteur se met lui-même en scène, sous son vrai nom, ainsi que tous les personnages de son entourage le plus proche, son frère, sa femme, son père, etc. Le lecteur est ainsi invité à entrer, grâce à la fiction, dans l'intimité subjective la plus radicale de l'auteur qu'il lit.
Je me suis abonné à la Newsletter de cet excellent magazine américain, plein d'humour et d'informations originales.
lundi 28 mars 2022
Portugais
Pour poursuivre sur cette voie du bilinguisme, je ne résiste pas à vous citer un long passage du livre de Dupont-Monod. L'auteure évoque la vie de la cadette, son aisance dans les voyages et, notamment, à Lisbonne dont elle "connaissait tous les bars." "Parfois elle glissait des mots en portugais. Il en aimait la tessiture ronde et étouffée. Il y avait des langues chantantes, râpeuses, mais contrairement à elles, le portugais semblait tourné vers l'intérieur. La bouche ravalait les sonorités vers la gorge comme si le message, avant de franchir les lèvres, revenait au cœur de celui qui le prononce. De sorte qu'aucun mot ne sortait intègre et, à la façon de ces gens timides sincèrement épris de solitude, les mots, indifférents à leur propre clarté, semblaient pressés de revenir dans le chaud du corps. C'était une langue de repli." (p. 144-146)
dimanche 27 mars 2022
Bilinguisme
Je dois rectifier mon commentaire du livre de Clara Dupont-Monod. Je n'avais pas encore entièreent terminé le livre. Or, les parents de cet enfant handicapé, qui bouleverse la vie des membres de cette famille très protestante, ont un dernier enfant, normal, qui lui aussi va exprimer son point de vue sur celui qui, même après sa mort, continue à travailler l'esprit de tous les membres de cette fratrie particulière.
J'ai terminé la lecture de cet ouvrage hier soir et j'ai commencé aussitôt le livre que m'a prêté Sammy lors de mon dernier passage à Luxembourg. Il s'agit de l'essai d'Albert Costa, intitulé The Bilingual Brain and what it tells us about the science of language, Penguin Bks, 2021. L'auteur est professeur à l'Université Pompeu Fabra de Barcelone. Le livre a l'air passionnant.
Je n'ai aucune nouvelle de l'hôpital.
samedi 26 mars 2022
Shiste
vendredi 25 mars 2022
Mathematica
Je reprends ce blog qui fut interrompu par la difficulté d'écrire quand on s'attend à tout moment à des spasmes plutôt douloureux. Pourtant je n'ai pas chômé pendant ces derniers trois jours. J'ai terminé le livre de David Bessis, Mathematica. Une aventure au cœur de nous-mêmes, Seuil, 2022. C'est un livre très intéressant dont le but est de démystifier cette fameuse "bosse" des maths dont l'absence supposée chez la majorité des gens est source de beaucoup de complexes et d'inhibitions fort dommageables. L'auteur nous convainc assez facilement de l'importance de l'intuition et de l'imagination pour se lancer dans des activités mathématiques. Pour comprendre, il faut se fabriquer des images mentales propres à représenter, à l'intérieur de notre tête, le problème à résoudre. Ces images mentales ne sont pas forcément bien ajustées au problème mais c'est précisément l'identification des dissonnances entre les images et le problème qui vont nous mettre sur la voie de la compréhension. Et, pour Bessis, cette identification doit recourir à l'intuition plutôt qu'à des raisonnements formels. Il s'agit essentiellement de voir et de prendre au sérieux ce que notre imagination offre à cette vision intérieure. Ce livre est le témoignage subjectif de l'auteur quant à son parcours de mathématicien. Lui-même dit que son essai relève plus d'une problématique de développement personnel que de mathématiques. Il s'adresse à tout le monde, mais plus particulièrement peut-être à ceux qui enseignent les mathématiques.
lundi 21 mars 2022
Nada
Je m’étais endormi comme un bébé. Tout à coup j’entends une espèce de hurlement enthousiaste qui me réveille en sursaut pour voir entrer dans ma chambre une blonde avec un plateau sur lequel on pouvait distinguer les nombreux éléments d’un jantar très copieux. Quelle déception dans ses yeux quand je lui ai dit que je ne voulais rien. « Nada ? demanda-t-elle, incrédule, nada, nada !!!?? » Je confirmai. Elle repartit avec son plateau surchargé de cette bouffe d’hôpital (soupe blanchâtre avec de vieux légumes décolorés, poisson trop cuit, pomme fripée, pain pâteux, plus destiné à faire des figurines qu’à être mangé, etc.), pour revenir peu après avec une pilule antibiotique que j’ai voulu refuser également mais, elle était manifestement chargée de vérifier l’ingestion de son poison par le patient … évidemment, j’ai eu très mal ensuite. Heureusement que mon huile de CBD était là : trois gouttes sous la langue permettent de moins craindre ces élans douloureux de mon pénis ‘urétrotomisé’ !
dimanche 20 mars 2022
Pluie
Aujourd'hui, il pleut. Pedro et Lucia, nos amis, venaient de revenir de Rio et nous sommes allés déjeuner à l'Imperio où nous avons tous pris du filet de bœuf au café, la spécialité de ce grand restaurant qui, dans le temps, était un cinéma. La discussion que nous avons eue pendant le repas était cordiale, sereine et agréable. De retour à la maison j'ai fini le roman De la forêt, entamé il y a environ huit jours. Je savais que je le lirais lentement et entretemps j'ai terminé d'écrire le texte de mon intervention aux journées consacrées à Andrée Tabouret-Keller. Ce roman m'a charmé. Il décrit avec beaucoup de talent la vie de ces gangotas qui défrichent la forêt, parcelle par parcelle, pour se nourrir de presque rien. Il ne s'agit même pas de pauvreté. Ces gens n'ont rien et survivent au jour le jour dans des conditions qui nous paraissent terribles. Pourtant, il y a de la joie chez eux, à la moindre occasion de se réjouir. En tout cas merci Pauline pour ce beau livre.
samedi 19 mars 2022
Sept
Sept heures de sommeil, sans la moindre interruption, cette nuit. C'est la première fois que ça m'arrive depuis longtemps. C'est peut-être lié à cette poudre de guarana que j'ai achetée avec Charlotte à la boutique Guayapi, qui se trouve pas loin de son lieu de travail. J'en prends une bonne pincée tous les matins en plus de mes vitamines habituelles et je me sens très bien. Hier soir, pendant que le dîner des psychanalystes battait son plein, j'ai résolu des problèmes d'échecs dans mon bureau, avec les chats et des hauts et des bas dans mes performances, mais, tout doucement, je continue à progresser.
Hier à midi, nous sommes allés, Isabel et moi, manger dans un restaurant syrien, celui où nous avions voulu manger avec Richard quand il était ici et où nous n'avions pas trouvé de place. Nous l'avons trouvé bon, sans plus. Moi, j'ai bien apprécié leur mutabal et leur humus, mais Isabel a été un peu déçue.
jeudi 17 mars 2022
Forêt
Le roman de Bibhouti Boushan Banerji que je lis est assez fascinant. Il nous décrit sa vie dans une forêt très sauvage où les buffles sont presqu'aussi dangereux que les tigres qui y habitent. Ses descriptions de l'immense forêt dont il organise lui-même le défrichement progressif par de pauvres fermiers, sont pleines de cette émotion particulière que l'on peut peut ressentir au cœur de ce peuple d'arbres, un peuple silencieux, ou plutôt qui ne s'exprime qu'à travers le chant des oiseaux, le bruit du vent et le crissement des feuilles sous les pas de ceux qui la traversent à la rencontre de personnes, souvent solitaires depuis des années et qui continuent à y vivre de presque rien. Je me sens très proche de cette sensibilité à la beauté de la forêt.
mercredi 16 mars 2022
Rangement
Je voulais, en me réveillant, raconter le rêve de cette nuit. Cela se passait rue Richard Brunck à Strasbourg. De nouvelles personnes devaient venir habiter la maison de mes beaux-parents de l'époque. Et, curieusement, je m'étais chargé de nettoyer la maison et le jardin en vue de la visite qu'elles avaient l'intention de faire. Mais j'ai vite été débordé par le nombre d'objets à ranger —les balais, les rateaux, les appareils, les produits, les habits, etc.— alors qu'il n'y avait pas assez d'endroits où les mettre. C'est moi qui organisait cette mise en ordre et ma belle-famille m'aidait. Je courais dans tous les sens et quand je me suis réveillé, je me suis senti très fatigué par cette activité onirique très intense.
Sahara
mardi 15 mars 2022
Poutine
Ancien membre du KGB, Poutine a la réputation d'être quelqu'un d'intelligent. Une intelligence froide certes, purement calculatrice —ce qui conforte les préjugés les plus courants sur la "chaleur" de l'intelligence, si peu chaleureuse, habituellement— mais grande selon la vox populi. Or, comme me le rappelait mon fils Fabien en évoquant Cipolla [The Basic Laws of Stupidity], ce qu'il fait actuellement est le signe le plus clair de sa bêtise. En faisant du mal aux autres, il se fait du mal à lui-même. Autrement dit, il se tire une balle dans le pied. Selon Cipolla en effet, la bêtise d'une action quelconque se mesure au fait que l'action en question, non seulement est nuisible pour celui qui la subit, mais également pour celui qui en a l'initiative. Peut-être que Poutine espère l'immense bénéfice de jouir un jour, quand il sera mort, d'une glorieuse réputation historique. Mais rien n'est moins sûr et il faudrait qu'on l'avertisse.
Depuis quelque temps, le matin, je me suis remis à la douche écossaise. Une douche chaude suivie d'un flot d'eau glacée pendant au moins deux minutes. C'est rafraîchissant ! Et cela me fait aller mieux. En outre je continue mon jeûne intermittent : à partir de 15h, je ne mange plus rien jusqu'au lendemain matin. Et cela me va.
lundi 14 mars 2022
Banerji
dimanche 13 mars 2022
Saint Jacques x 2
Hier à midi, je suis allé sur la péniche d'Eric et Christine avec Claude. Christine avait préparé un plat délicieux avec des coquilles Saint Jacques et des crevettes. J'étais content de voir qu'Eric était très en forme après avoir vécu des moments très difficiles avec Omicron à l'hôpital.
Je pense à mon fils Fabien, sur la route de Saint Jacques de Compostelle. J'espère que tout va bien.
samedi 12 mars 2022
Onirie
J'ai fait un premier rêve cette nuit où je devais soutenir la deuxième partie de ma thèse d'État. Daniel S., mon ex-beau-père, était l'un des membres du jury. Cette partie de la thèse n'était même pas reliée et, devant ce tas de feuilles volantes, j'avais parfaitement conscience que ce n'était pas achevé. "Thèse finie ou infinie", me disais-je en moi-même en pensant à cette analyse interminable dont Freud parle dans un de ses articles importants. Daniel S. me pose une question sur le scepticisme en Grèce ancienne.
Mon deuxième rêve, bien qu'un peu macabre, n'était pas un cauchemar. Maman était dans son cercueil qui, lui-même gênait le passage dans une ruelle qui pourrait bien être l'une de celles que je connais si bien à Lisbonne. Quelqu'un —je ne sais pas qui exactement mais il me rappelait l'un de mes anciens collègues journalistes des DNA— tient absolument à rouvrir le cercueil pour y chercher une boîte. Je m'y oppose mais il parvient quand même à ses fins. Ma mère est là, un peu abîmée par la mort, pas vraiment reconnaissable, mais c'est bien elle. Tout-à-coup, je la vois bouger. Elle soulève légèrement la tête et se met à parler. Ses yeux sont deux taches noires. "Je voudrais simplement voir", dit-elle.
Finalement je change le titre de cet article. Le premier qui m'était venu en tête était "onirie" qui me semblait parfait. Vérification faite sur internet, je m'aperçois que ça n'existe pas en français. J'étais alors passé à "onirique", mais en fin de compte je préfère cet anagramme d'ironie.
vendredi 11 mars 2022
Araignées
Mon bureau était à l'étage. Nous étions partis en vacances mais au retour l'université était en grands travaux. Tout le monde était sensé participer à cette rénovation. Mon bureau ne faisait pas exception. Il fallait replâtrer les murs qui se désagrégeaient peu à peu. Tout à coup, une araignée grosse comme le poing sort du mur. Elle va se réfugier dans un autre trou. Entretemps, René, qui travaillait à son propre bureau emballe une autre araignée dans un chiffon et me la fourgue dans un autre trou du mur. Je vois qu'elle vit encore. Elle me regarde. Elle a une tête de serpent et semble sourire. Le bâtiment est sens dessus dessous. Finalement j'en compte trois. De grosses araignées qui ressemblent à des boules hostiles.
Les illusions perdues, un très beau film avec des jeux d'acteurs éblouissants. Avec ce dernier mot qui clôt cette chute dans la réalité de Lucien, le héros de Balzac : "Il faut cesser d'espérer pour commencer à vivre". Je ne sais pas si ce sont les mots exacts du film, ou même de Balzac. Je vérifierai dès mon retour à Lisbonne.
Mon fils part aujourd'hui pour accomplir son pélerinage. Il fera 10 étapes en dix jours, partant du Puy-en-Velay, vers Saint Jacques de Compostelle. 270 km. Sans manger. Il a décidé d'écrire un blog quotidien pendant ces dix jours et a déjà commencé. Voici l'adresse de son nouveau blog :
https://fabien-the-pilgrim.blogspot.com/2022/03/
* * *
J'ai re-téléchargé Chrome qui était mon browser sur mon iPad. Il semblerait qu'il soit possible maintenant de publier des commentaires, ce qui n'était pas possible avec Safari, apparemment. Et nous avons testé également la possibilité de publier des réponses éventuelles à ces commentaires éventuels. En tout cas, cela peut valoir le coup d'essayer.
jeudi 10 mars 2022
Cooltra
Aujourd'hui, j'ai d'abord vu Richard. Nous sommes allés déjeuner au restaurant "Le loir dans le thé", rue des Rosiers que j'ai rejoint en scooter électrique Cooltra. Je suis allé dans une librairie ensuite avant de rejoindre Charlotte du côté d'Arôme, le lieu de son travail. Nous avons été faire quelques courses à Guayapi, un magasin bio qui vend plein de poudres de perlinpinpin. Nous sommes allés dans un bistrot en attendant Constantin. Puis, je suis rentré chez Fabien, toujours en Cooltra, pour aller voir Les illusions perdues au cinéma. Bref, une journée bien chargée. Demain, j'ai encore plusieurs rendez-vous agréables.
mercredi 9 mars 2022
Anne
Je rêvais que je dormais. Mon sommeil était agité. Je remuais dans mon lit pour bien ajuster l’oreiller qui s’échappait constamment. Mon lit était un matelas un peu dur situé dans l’un des coins d’une grande salle. À l’autre bout, Isabel était assise en train de tricoter. Il y avait un autre personnage, un homme qui s’appelait Anne, très fin, assis immobile sur un banc assez près de mon lit. Il m’observait sans en avoir l’air. Sur les murs, il y avait des inscriptions dans une langue que je ne connaissais pas. J’essayais pourtant de déchiffrer cette écriture étrange dont les caractères étaient comme en relief par rapport à la surface du mur.
Hier à midi, j'ai déjeuné avec Irène à Duppigheim, chez un de ses amis restaurateur, très charmant. Nous avons beaucoup parlé et elle m'a vivement conseillé de m'intéresser à mes rêves avec quelqu'un d'autre qui pourrait m'aider à en saisir le sens. Le rêve que j'ai fait cette nuit semble montrer que j'ai entendu sa suggestion. Et hier soir, j'ai dîné chez Célia. Hendrik avait préparé un poulet Colombo cuisiné sur la base d'une recette d'Isabel. C'était très bon. Julien venait d'arriver de Londres et terminait un essai sur le néomarxisme. Je lui ai demandé de m'envoyer son essai mais je n'ai toujours rien reçu.
mardi 8 mars 2022
MISHA
Nous nous sommes réunis à la Misha, la Maison interuniversitaire des sciences humaines - Alsace, pour rependre les discussions amorcées dans le livre publié par Joëlle Le Marec et Mélodie Faury sur quelques uns de mes travaux. Une bonne atmosphère qui me faisait penser à la manière dont nous menions nos vies intellectuelles au GERSULP. Excellente intervention de Françoise Willmann d'abord, sur mes préoccupations orwelliennes, suivie peu après par l'intervention de René Kahn sur "le terrifiant désir de scientificité des sciences économiques". Sa position n'a pas beaucoup changé depuis ses années gersulpiennes mais elle s'est renforcée à travers de nombreuses lectures. Il faut dire que les sciences économiques nous offrent un tableau quasi-idéal de la confrontation entre orthodoxie et hétérodoxie. René nous a parlé de sa vie d'économiste hétérodoxe. Pas facile. Pourtant, il a fait une belle carrière et a été accepté par la communauté, sans avoir à renoncer à ses positions divergentes. André Lalande nous a parlé de son interprétation de mes idées sur l'impossibilité théorique d'une vulgarisation des sciences humaines et Mélodie nous a offert un témoignage non dépourvu d'émotion sur la manière dont elle a repris mon insistance sur l'exigence d'une parole —une parole vivante— en sciences. Faut-il renoncer à l'écriture ? comme je le suggérais dans l'un de mes articles "Pour un questionnement anthropologique de la modernité ?" Certes non ! Surtout quand celle-ci est propre à nous faire réfléchir, ce qui arrive quand même assez souvent ! Mélodie avait invité ses étudiants de Master à participer à cette table ronde et j'ai été séduit par leur écoute si attentive et par l'intérêt qu'ils semblaient manifester pour la gerbe d'idées qui nous animaient tous.
lundi 7 mars 2022
Bois-de-Champ
Nous sommes allés à Bois de Champ (entre Saint-Dié et Épinal), voir Guy et Anne, hier pendant toute la journée. J'ai trouvé Guy assez en forme mais marchant encore avec difficulté. Josiane, Christine et Eric m'accompagnaient. Cela m'a fait plaisir de voir Eric, toujours très en forme physique, verbale, gastronomique et œnologique ! Ils habitent dans le creux d'une vallée vosgienne, un peu sombre et humide au milieu d'un tout petit village qui n'offre guère de distractions. Mais bien sûr, aujourd'hui, avec internet, on ne manque presque plus rien des nouvelles du monde et des nouveaux films. Ce qui manque peut-être un peu, ce sont les contacts avec des humains en chair et en os. Anne m'a dit qu'ils avaient de nombreuses visites.
J'ai un petit article à envoyer dans les prochains jours. Ma contribution au colloque qui a réuni, début décembre, un certain nombre de spécialistes et d'amis d'Andrée Tabouret-Keller. J'ai quelque chose de prêt mais il faut encore que j'ajuste le texte à l'occasion qui permettra peut-être sa publication.
dimanche 6 mars 2022
Argentoratum
Nous avons célébré les 79 ans de Martine hier soir à l'Argentoratum, un restaurant de la Petite France, très bon. Françoise est beaucoup plus sereine actuellement. Dali était là, très vive, la plus jeune de cette tablée du troisième âge !
Je viens de lire un article assez déprimant sur les suites de cette guerre de la Russie à l'Ukraine. Pour l'auteur, Poutine parie sur notre faiblesse, notre capacité à oublier très vite les crimes commis loin de nos foyers, nos scrupules à nous montrer cruels et sans pitié, notre peur de perdre nos privilèges d'occidentaux : nos libertés, notre confort, nos petites satisfactions bourgeoises. Les Russes vont eux aussi souffrir énormément bien sûr, même peut-être bien plus que nous, mais ils sont capables de supporter ces souffrances, ils en ont l'habitude, ils ont été endurci par des siècles de souffrances terribles. Poutine sait que notre unité, l'entente qui cimente aujourd'hui cette unité, est bien fragile et très conjoncturelle, directement liée à ses démonstrations de force. Très vite nos divergences vont resurgir, alimentée par nos égoïsmes et les intérêts qui nous divisent. Poutine parie sur nos faiblesses et il n'est pas sûr que son pari soit tellement risqué.
vendredi 4 mars 2022
Jonquilles
Grand soleil à Strasbourg aujourd'hui. Visites de famille. Martine et Duncan sont ici et je suis content de les voir. Pour le moment je suis chez. ma fille Célia et l'appartement, quand il fait aussi beau qu'aujourd'hui, est bien agréable. La terrasse est pleine de verdures variées avec, sur une petite table ronde, un pot de fleurs d'où jaillit un magnifique bouquet de jonquilles. Tout est très calme. Joaquim lit des manga dans sa chambre.
jeudi 3 mars 2022
Ours
Le train va partir. Je suis à Metz. La gare est dotée d'une librairie FNAC où l'on peut trouver plein de choses intéressantes. Je suis parti de Luxembourg vers 13h30. Ce matin, j'avais un groupe d'enseignants avec qui j'ai pu discuter de leur pratique et des idées qu'ils se font sur leur pratique. C'était très instructif. Et hier soir j'ai, comme d'habitude, dîné avec Jeannot au restaurant "des ours". C'est moi qui ai donné son nom à ce restaurant parce qu'il est géré par un groupe d'hommes barbus qui ont tous entre 30 et 40 ans et qui changent souvent tout en gardant les mêmes caractéristiques. C'est assez drôle. Nous y sommes allés plusieurs fois et la dernière fois j'avais bien apprécié leur boudin noir, plat que j'apprécie et que l'on ne trouve pas à Lisbonne. Au lycée, ce restaurant est maintenant connu sous ce beau nom des "ours". De quoi rendre jaloux les ours de Sibérie.
mercredi 2 mars 2022
Hébéter
J'ai longtemps cru que la forme verbale de ce que j'ai utilisé dans un haïku comme un adjectif qualifiant l'attitude d'un avion dans l'azur le 28 novembre 2019, n'existait pas. Le 26 août 2020, j'ai forgé "hébétude" pour dire l'effet qu'a eu ma chute dans une rue de Lisbonne en janvier de la même année. Et en 2015, le 13 mai, j'ai employé ce mot pour décrire le regard d'un orang-outang qui, du sommet d'un arbre esseulé, contemplait la destruction de sa forêt au profit de l'huile de palme en Indonésie. Ce matin j'ai de nouveau besoin de ce mot pour dire ce que la guerre nous fait à nous, êtres humains, même à ceux qui sont loin des zones de combat, même à ceux et celles qui se réunissent dans de grandes salles où des rangées de fauteuils en demi-cercle attendent les discours, même à ceux qui pourraient ressembler à cet orang-outang sur son arbre esseulé, mais qui parlent du fond du pouvoir, esseulés devant micros et caméras de télévision, comme Poutine au bout de sa table de six mètres de long ou Biden, flanqué de sa vice-présidente, à droite sur les écrans, la guerre donc, elle, celle-ci comme les autres, nous hébète. Elle nous abasourdit. Tous.
mardi 1 mars 2022
Maison
J'ai rêvé cette nuit d'une grande maison occupée par nos voisins qui veulent la vendre. Nous sommes intéressés. En fait mon conjoint l'a achetée mais je ne sais pas le prix qu'elle a payé. En tout cas, nos voisins —qui sont par ailleurs tout-à-fait charmants—reviennent à la charge pour nous vendre en plus la portion d'air qui se trouve au dessus de cette maison. Pour 35000 euros. Mon conjoint y est très favorable alors que je m'y oppose catégoriquement y voyant une véritable arnaque. "Qu'en ferons-nous ?" disais-je à mon conjoint pendant que le propriétaire de la maison nous vantait les mérites de cet ajout à l'achat. "C'est très utile", disait-il de façon très convaincante. Je tenais bon. "Et tout d'abord, disais-je, pourquoi la vendez-vous cette belle maison ? Il doit y avoir de gros travaux à faire quelque part ! Vous veniez de l'acheter ! C'est louche !" Nous entrions dans la maison pour voir quels étaient ces travaux à faire, sûrement. Le rêve se poursuit avec une multitude de détails intéressants que je n'ai pas le temps d'évoquer maintenant.