Dans La Convivialité d'Ivan Illich, je lis cette phrase : "Au stade avancé de la production de masse, une société produit sa propre destruction. La nature est dénaturée. L'homme déraciné, castré dans sa créativité, est verrouillé dans sa capsule individuelle." (p.11) Elle m'a fait repenser à cette thèse de David Abram à propos de l'écriture alphabétique, thèse qu'il a évoquée lors de sa conférence : le graphisme alphabétique, en raison même de la dimension, devenue (avec les Grecs) arbitraire, de son tracé, ressemble à un miroir qui, par la lecture, nous renvoie, en termes de sensation, à nous mêmes, à notre appareil phonatoire, à notre propre parole. La lecture mobilise une sensibilité synesthésique en la focalisant sur le rapport vision/audition produit par l'écriture. Elle réactive en permanence, à travers le stimulus graphique qu'elle nous offre, une assimilation synesthésique entre le son et la vision. D'après Abram, c'est l'une des raisons qui nous a rendu sourds et aveugles à tout ce qui est "plus qu'humain". L'écriture alphabétique nous enferme dans l'humain. Enfermement narcissique au niveau individuel —c'est le constat évoqué par Illich, ci-dessus—, enfermement généralisé à l'ensemble de notre civilisation occidentale, à un niveau plus global.
[Je rappelle ici la définition de "synesthésie" : Phénomène d'association constante, chez un même sujet, d'impressions venant de domaines sensoriels différents.]
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