Hier après-midi, en revenant avec Isabel de l’hôpital où
j’ai subi quelques examens en rapport avec ce qui se révèle être en effet une
sténose, nous passons devant l’antiquaire où, quand nous sommes arrivés à
Lisbonne, j’avais acheté une bibliothèque XIXe, pour mes livres de la Pléïade,
les cinquante volumes des œuvres de Voltaire et mes auteurs grecs favoris.
« Tiens, me dit Isabel, si nous allions dire bonjour à Raoul ou son fils
Alexandre ? » « D’accord, répondis-je, mais pas longtemps. Z. m’attend pour le déjeuner. » Nous entrons dans ce magasin d’antiquités,
très encombré par toutes sortes de merveilles, notamment des lustres
gigantesques et magnifiques. Ni Raoul, ni Alexandre ne sont disponibles mais
nous faisons quand même un tour. Parmi tous les meubles exposés je repère une
chaise dont l’assise était mobile : un vieux livre était coincé entre
l’assise et son cadre justement pour montrer qu’en se soulevant, l’assise
transformait la chaise en un prie-dieu. Curieux, je la soulève et le livre
tombe par terre. Je le ramasse prestement et jette un coup d’oeil sur le
livre. Je lis le titre : Os três verbos da vida, par João
Mendes, S.J. (Portugalia Editora, Lisboa, 1944) ! Les trois verbes de la
vie. Je le montre à Isabel qui, bien entendu, connaissant mon intérêt très
actuel pour les verbes qui m’inspirent de petits textes très fragmentés et
ponctuels (que je publie parfois sur mon blog), me propose de l’acheter. En
fait, l’antiquaire m’en fera cadeau. Une fois dehors, la curiosité me fait
ouvrir le livre tout de suite pour voir quels sont ces « trois verbes de
la vie » qui ont inspiré l’auteur. Les voici : Crer, esperar, amar (croire, attendre, aimer). J’ai déjà traité
« croire » et « attendre » mais je ne me suis pas encore
attaqué au verbe « aimer ». J’y viendrai sans doute un jour. J’ai
déjà publié mon fragment sur « attendre » (voir le 17 avril) que je
n’ai pas flanqué de sa connotation d’espoir, plus naturelle en portugais et sans doute plus conforme au sens visé par mon jésuite portugais. Voici
mon traitement très succinct (et encore en chantier) de « croire ».
Croire
La croix du croire. Une
lourdeur dans la tête pour se sentir léger, débarrassé de toutes les questions
de plomb. Allez creuser vos doutes ailleurs. Allez fouiller vos greniers dans
vos caves. Je fais une croix sur vos propositions hasardeuses, vos discours
retors, vos examens pinailleurs, vos arguties d’intellos. Je fais une croix sur
tout. Laissez-moi croire en paix.
Rien à voir évidemment avec le texte que j’ai trouvé coincé entre l’assise et son cadre
d’un prie-dieu, comme il est facile de le deviner. Dès les premières lignes de son
traitement du verbe croire, l’auteur associe son importance actuelle au progrès
des connaissances : « Du berceau au tombeau, tout homme vit de la foi
en ce que lui disent les autres. » (p. 13). Ce avec quoi, je suis d'accord. L'entièreté de notre savoir et de l'ameublement de notre esprit nous vient de l'extérieur de nous-même. Mais ceci l’amène, quelques lignes
plus loin, à affirmer : O homem
que menos precisa de crer é o selvagem da floresta. « L’homme qui a le
moins besoin de croire est le sauvage de la forêt. » J’en conclus que je
suis sans doute un sauvage. Il n’empêche que j’ai trouvé cette trouvaille
accidentelle quelque peu troublante. En suis-je troublé ? Juste assez pour
tenter de traiter ce verbe intéressant : troubler. Mais ce sera pour une autre fois.
Cette nuit, un rêve, le dernier de la nuit et que j'ai rêvé deux fois (cela arrive rarement : deux versions très semblables du même rêve, l'une à la suite de l'autre). J'étais à vélo et remontais la rue Brûlée à Strasbourg vers la cathédrale. Françoise me suivait tant bien que mal dans cette petite ruelle où nous nous faisions dépasser dangereusement par des voitures. Au bout de la rue, et après avoir esquivé habilement quelques chicanes en métal, j'arrive à ce qui aurait dû être la cathédrale mais en fait, il s'agissait d'un fossé, comme si le sens de la verticalité de la cathédrale s'était inversé et qu'au lieu de hauteur j'avais affaire à de la profondeur. La ville continuait là en bas. Je m'apprête à faire comme d'habitude, c'est-à-dire à sauter tout en restant sur mon vélo. Il y a quelques obstacles mais en tournant le coin, j'ai le champ libre et je saute. Je me réceptionne en bas, toujours sur mon vélo et je continue ma route.
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