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dimanche 18 mars 2018

Langage

L'un des articles qui m'a le plus à la fois étonné et passionné dans Marcher avec les dragons de Tim Ingold, est celui intitulé "Poétique de l'usage des outils. De la technologie, du langage et de l'intelligence à l'artisanat, au chant et à l'imagination", pp 381-412. En voici un extrait particulièrement intéressant :

"Qu'est-ce alors que le langage ? Ou, plus précisément, comment arrivons-nous à penser que le langage existe, et que nous pouvons essayer d'en décrire et d'en expliquer l'évolution ? Une première réponse serait de soutenir que cette idée est un sous-produit du processus d' "intériorisation" de la personnalité qui a marqué l'émergence du concept d'individu dans l'Occident moderne (Mauss 1999 [1950]; Dumont 1983). C'est ce concept qui nous conduit à chercher la source génératrice de l'action intentionnelle dans l'intériorité de l'être humain et non dans la sphère de son engagement dans un champ de relations plus large. Ainsi, on suppose que tout individu, indépendamment des autres, est équipé d'une capacité linguistique (ou en tout cas d'un dispositif pour son acquisition) située quelque part dans le cerveau, qui serait la source génératrice de la parole. Une autre réponse possible, liée à la première, serait de dire que l'idée d'un langage est nécessairement impliquée par un rationalisme incapable de concevoir l'action autrement que comme un mécanisme de reproduction, dans un milieu physique, de modèles déjà construits dans la pensée. L'on accorde ainsi au langage la responsabilité de construire ces modèles, à savoir les phrases, qui sont par la suite simplement exécutées dans la parole. Il existe cependant une troisième réponse, selon laquelle l'idée du langage est un "fétiche de linguistes" qui ont voulu modeler les activités de la parole comme si elles étaient l'application d'un système cohérent de règles sémantiques et syntaxiques déduites par l'abstraction à partir du comportement observé."

Remarque : je me demande si le traducteur, Pierre Madelin, excellent par ailleurs, n'aurait pas dû traduire l'anglais language ici, par "langue" plutôt que par "langage". Comme il est question d'une critique des linguistes, c'est plutôt de la "langue", leur objet d'étude, que l'auteur parle, à mon avis. 

Tout cet article devrait être lu et discuté par les enseignants du français au Lycée Ermesinde, ne fut-ce que pour leur faire prendre conscience de ce dont il s'agit quand on apprend à parler une langue. Cet article est en tout cas magnifique, notamment quand il identifie la parole au chant tout comme l'intelligence à l'imagination. 

Tout l'ouvrage est aussi une défense de l'implicite dans notre engagement pratique dans le monde. 


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