Avant hier soir, nous discutions avec Charlotte et, tout-à-coup, elle nous dit : "Quand je serai morte, j'aimerais que vous gardiez toutes mes choses. —Quoi, par exemple ? — Mes dessins, mes films, mes barbies, mes affaires de classe, toutes les petites choses qui étaient à moi. — Mais, tu sais... l'essentiel c'est que tu sois bien vivante dans nos coeurs."
Charlotte témoignait de cette angoisse très particulière, l'angoisse de disparaître complètement. D'être comme quand on n'existait pas encore, dans cet état difficile à imaginer d'avant la naissance. Peut-être ce sentiment est-il lié à l'âge. Pourtant, dans mon souvenir, quand j'avais 13 ans, c'était plutôt le contraire. Et cela s'est accentué ensuite, notamment quand j'ai lu Monsieur Teste, de Paul Valéry, qui me semblait représenter une sorte d'idéal : la Grande Indifférence, l'ataraxie. Il s'agit de ne pas laisser de traces, disparaître en effet, exister de telle sorte que, après la mort, ce serait comme si on n'avait jamais existé. Ce n'est pas très original puisque c'est ce qui arrivera — c'est ce qui arrive et ce qui est arrivé — à la plus grande majorité des êtres humains d'hier et d'aujourd'hui. Tout le monde ne peut prétendre à la gloire posthume des mausolées, des pyramides, ou des schistes, tourbes ou sables qui ont protégé Néandertal ! Mais, quand on voit ce que les traces du passé font au présent, quand on considère cette accumulation fantastique de ruines et de déchets, ce gigantesque amas de restes humains qui encombrent à la fois le monde et nos esprits, il est difficile de ne pas se poser la question : n'est-il pas préférable de disparaître sans traces, de libérer l'avenir de la pesanteur des chairs et des pensées, qui voudrait nous enchaîner à l'éternité ? D'où vient ce désir de ne pas être oublié aussitôt disparu ? qu'est-ce qui nourrit l'illusion d'une survie à travers nos traces ? alors qu'en elles-mêmes celles-ci ne témoignent de rien d'autre que de notre propre disparition.
Cela me fait penser à ce raisonnement qui m'a parfois préoccupé : "Vous êtes bien d'accord que le passé nous renvoie à ce qui n'existe plus ? Alors, qu'est-ce qui vous empêche de penser que, n'étant plus, le passé n'existe pas ?" A moins d'en faire l'une des obsessions du présent.
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