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vendredi 15 janvier 2016
Souvenir
Je me souviens des sept gravières, creusées le long du Rhin à proximité de Strasbourg. Par les grandes chaleurs de l'été, les Strasbourgeois allaient s'y baigner. Chaque gravière avait sa propre personnalité sociologique. La première était supposée sale et peu propice à la baignade. Seuls quelques néophytes y risquaient leur peau dans une eau réputée pour sa pollution. Odeurs de vase. Il y avait ensuite deux ou trois gravières populaires sur les bords desquelles les gens pique-niquaient avec tout un attirail adéquat : bouteilles de gaz bleues alimentant de petits réchauds fragiles en équilibre instable sur les galets, chaises en toile, tables pliantes, marmailles gesticulantes, tatouages sur bras musclés, les mères énormes se disputant avec leurs maigres brus aux cheveux blonds. Odeurs de merguez. La cinquième gravière était peuplée de "gens bien", vraiment bien, sagement étalés au soleil, parfois avec un livre sur de larges draps de bains, des enfants parlant anglais juste à côté. Odeurs de crèmes solaires. La sixième accueillait les bobos naturistes qui exposaient leur nudité aux jumelles des voyeurs de la digue surplombant à une centaine de mètres plus loin les ébats de cette population scandaleusement désinhibée. Odeurs de sexe. Enfin, il y avait la septième gravière, entourée d'un grillage où s'affichaient des panneaux "Défense d'entrer" ou "Baignade interdite". Il s'agissait d'un "site naturel" d'où les humains étaient soigneusement exclus. On voulait sans doute voir ce que la nature en ferait si on la laissait fonctionner toute seule, sans interférences intempestives. C'était le lieu de la nature. La mauvaise herbe y poussait sauvagement, n'importe comment. D'immenses chardons et de grosses touffes d'horties redoublaient la protection du grillage. On y apercevait des foulques. Odeurs de zoo.
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